Ce Bifrost n°114 consacre un dossier à hommage à Iain M. Banks, figure emblématique de la science-fiction anglophone. L’auteur, disparu prématurément en 2013, est célèbre pour le Cycle de La Culture, une série qui explore une civilisation pan-galactique utopique. N’ayant encore rien lu de Banks, je regrette un peu cette lacune après avoir parcouru ce dossier.
Celui-ci dresse un portrait riche et détaillé de l’écrivain, en explorant à la fois sa vie et son œuvre. Pascal J. Thomas propose une biographie fascinante, mêlant anecdotes personnelles et analyse de ses inspirations littéraires. L’interview réalisée par Jude Roberts dévoile les réflexions de Banks sur le capitalisme, l’utopie, et les dynamiques sociales au cœur de ses œuvres. Alice Carabédian, chercheuse en philosophie politique, met en lumière les dimensions politiques et éthiques de La Culture, présenté comme une critique subtile des modèles utopiques traditionnels. Enfin, une bibliographie complète, rédigée par Alain Sprauel, clôt le dossier ou presque puisque la rubrique habituelle Scientifiction, également signé par Alice Carabédian, revient sur le concept d’utopie dans La Culture.
Avant d’évoquer les nouvelles, signalons la très intéressante interview de François Angelier, l’homme de radio et de Mauvais Genres par Erwann Perchoc.
Et si on passait aux nouvelles de ce Bifrost 114 à présent ?
Les Nuits de Belladone » d’Alastair Reynolds
Cette nouvelle traduite par Laurent Queyssi, s’inscrit dans l’univers déjà évoqué dans La Maison des Soleils et La Millième Nuit. Dans un futur extrêmement lointain, l’humanité a colonisé la galaxie. Les voyages restent limités par la vitesse de la lumière, rendant les contacts entre les branches humaines rares et précieux. Des lignées de clones immortels parcourent l’univers, se réunissant tous les 200 000 ans pour partager leurs souvenirs lors du rituel des Mille Nuits. Campion, membre de la lignée Gentiane, participe à la Millième Nuit de la lignée Mimosa. Shaula, issue de cette lignée, trouve son comportement étrange. Qu’est donc le Protocole Belladone ? Alastair Reynolds livre une histoire à l’atmosphère mélancolique, empreinte de poésie et de tristesse, évoquant à la fois la grandeur et la solitude de l’immensité spatiale et sublimée par une magnifique traduction.
Quelque chose dans l’air de Carolyn Ives Gilman
À bord du vaisseau scientifique Tangier, trois chercheurs explorent une étoile instable (T46C) et une planète à atmosphère respirable. Mais l’observation elle-même semble modifier ce système, soulevant des nombreuses questions. La nouvelle traite de thèmes tels que l’indétermination quantique, le rôle de la conscience dans l’observation, l’impact irréversible des explorations humaines et l’altérité et mêle aventure spatiale et réflexion philosophique. Dense et technique, ce texte, traduit avec précision par Pierre-Paul Durastanti, mêle concepts vertigineux et une belle réflexion sur l’humanité face à l’inconnu.
Tout est flou.
– Pas grave. Il y a pire que le flou. »
Il avait raison. Le flou était un état de potentiel à traverser avant qu’une nouvelle réalité émerge.
Roger Will Comply de Jean Baret
Dans la périphérie d’une station spatiale, Roger, un laveur de vitres désabusé, et Lycos, un chien anthropomorphe issu d’expérimentations scientifiques, se lancent dans une rébellion désespérée contre une société oppressive. La nouvelle, ancrée dans une dystopie galactique où le capitalisme règne sans limites, propose une critique sociale acerbe et une satire caustique. Ponctuée d’humour noir et de dialogues percutants elle regorge de références culturelles décalées. Jean Baret livre un texte à la fois drôle et mordant, dans un univers dystopique glaçant mais étrangement trop familier. Message reçu !
Descente de Iain M. Banks
Un humain grièvement blessé et son scaphandre intelligent tentent de rejoindre une base lointaine après s’être échoués sur une planète hostile. La survie du protagoniste repose entièrement sur son scaphandre, mais au fil du périple, la solitude et l’épuisement l’entraînent vers la folie. La nouvelle, traduite par Sonia Quémener, explore des thèmes tels que la survie, la solitude, la relation entre humain et IA et les limites mentales face à l’adversité et la perspective de la mort. Dans un style sobre et immersif, Ian M. Banks maintient une tension croissante jusqu’à un twist final qui, bien qu’efficace, m’a laissé un étrange sentiment de déjà-lu, comme si j’avais rencontré ce retournement ailleurs, sans que je parvienne à me rappeler dans quel autre texte.
En conclusion, ce Bifrost 114 ne déroge pas à la règle d’excellence que s’est fixée la revue. Le dossier consacré à Iain M. Banks donne envie de découvrir, si ce n’est déjà fait, l’ensemble de son œuvre. Cependant, il ne m’a pas autant marqué que les deux autres numéros que j’ai lus cette année, le 113 consacré à l’intelligence artificielle et le 116 dédié à Catherine Dufour.
Pour aller plus loin
- D’Alastair Reynolds sur le RSF Blog : La Terre bleue de nos souvenirs, Les enfants de Poséidon T1, Les Chroniques de Méduse (avec Stephen Baxter), Éversion, La Millième Nuit, La Maison des Soleils
- De Carolyn Ives Gilman sur le RSF Blog : « Voyage avec l’extraterrestre » dans Bifrost 91
- De Jean Baret sur le RSF blog : Bonheur™ et « Trademark » dans Bifrost 91
- Lire les avis de Gromovar, Le Dragon galactique, Les Lectures du Maki, L’épaule d’Orion, Yossarian – sous les galets, la page…, Les Chroniques de FeyGirl, Constellations.
Ping : KillPal – bilan 2024 - RSF Blog