Bifrost n°113

Bifrost 113Ce Bifrost 113 est dédié à l’Intelligence Artificielle et explore ses implications éthiques et sociétales, oscillant entre fascination et crainte.

Le dossier, supervisé par L’Epaule d’Orion aborde la question des intelligences artificielles génératives à travers une série d’articles et d’entretiens, offrant un large éventail de perspectives.

Les Enfants de Vaucanson, par Pierre-Paul Durastanti retrace l’évolution de l’intelligence artificielle à travers la littérature, en s’appuyant sur une sélection de romans marquants.

Les super-ordinateurs : mais pourquoi sont-ils si méchants ? par Nicolas Martin analyse la présence des IA dans des films cultes tels que 2001 : L’Odyssée de l’espace, Tron, Matrix et Terminator. Les IA sont souvent représentées comme des entités malveillantes mais sont parfois plus nuancés, notamment avec Shirka, l’intelligence de l’Odysseus d’Ulysse 31 ou K.I.T.T de K2000, séries dans lesquelles IA sont bienveillantes et collaboratives.

Dans IA : l’essence de l’Art(Ificiel), Éric Jentile propose des interviews d’acteurs du monde de l’illustration, de l’édition et de la littérature, qui discutent de l’impact croissant des intelligences artificielles sur la création artistique. À travers les témoignages de Nicolas Fructus, Marc Simonetti, Neil Clarke et Chen Qiufan, le dossier explore les défis et les menaces que pose l’IA, notamment en matière de créativité et de droits d’auteur mais aussi des opportunités. Marc Simonetti compare la situation actuelle à la révolution industrielle, soulignant que l’IA menace de remplacer le travail créatif des artistes. Neil Clarke, éditeur, met en garde contre l’afflux de manuscrits générés par IA, qu’il qualifie de « spam », posant des questions éthiques sur la qualité de la production littéraire.  Chen Qiufan décrit aussi son expérience d’écriture assistée par IA, où il a co-créé une nouvelle avec un modèle d’IA qu’il a développé. Ce débat met en lumière la problématique du pillage des œuvres par les IA génératives et la menace qu’elles représentent pour l’avenir des jeunes artistes et de la création artistique.

Les langages de l’intelligence artificielle par Frédéric Landragin, explore les différents types d’IA (symbolique vs. statistique) ainsi que les défis techniques qu’elles posent. L’auteur établit une distinction entre les chatbots traditionnels et des modèles avancés comme ChatGPT, soulignant les limites linguistiques et les compétences des intelligences artificielles génératives par rapport à une véritable intelligence.

Intelligence artificielle et science-fiction : une bibliothèque idéale propose une sélection de douze œuvres essentielles sur le thème de l’IA. Ce guide de lecture propose des classiques et des œuvres contemporaines pour mieux comprendre l’évolution des représentations de l’intelligence artificielle et ses enjeux.

Dans son article intitulé Nous sommes une espèce de la révolution de l’information, Ada Palmer propose une perspective positive sur l’intelligence artificielle, offrant un contraste frappant avec le reste du dossier. Elle soutient que l’humanité s’est historiquement adaptée aux révolutions de l’information—comme l’imprimerie — et que la révolution numérique et l’IA actuelle ne sont qu’une continuation de ce schéma. Chaque changement technologique a été accueilli par du scepticisme et des préoccupations concernant son impact (qu’elle ne nie pas, entendons-nous bien). Cependant, plutôt que de diminuer la créativité et la productivité, ces changements ont historiquement entraîné une augmentation de la capacité à créer et à partager des idées, une démocratisation du savoir. Ada Palmer estime que chaque génération est devenue plus puissante grâce à la connaissance et à l’expression. Elle souligne, à raison, l’importance de se préparer à ces transitions pour s’adapter. Elle insiste sur le fait que les défis présentés par l’IA ne sont pas insurmontables ; au contraire, ils offrent une occasion de redéfinir les normes et les structures sociétales de manière à promouvoir l’inclusivité et la créativité. Pour ma part, je pense que sa vision est juste.

Vous l’avez compris, le dossier de ce Bifrost 113 ouvre de nombreuses pistes de réflexion et chaque article contribue à enrichir le débat sur l’intelligence artificielle. Pour ma part, je constate que l’IA générative est déjà présente et continue de se répandre un peu partout. Pour s’adapter à un avenir où l’IA occupera une place centrale dans presque tous les aspects de la vie professionnelle et personnelle, il est essentiel de se former à son utilisation et de réfléchir à ses usages. Il est aussi essentiel que tout un chacun puisse comprendre les problèmes complexes soulevés par la démocratisation des IA que ce soit sur le plan éthique, moral ou juridique  et que les États puissent jouer un rôle de régulation (notamment sur le droit d’auteur, mais pas que) et d’accompagnateur au changement (sur le volet économique et social).

Parmi les rubriques habituelles de la revue, Erwann Perchoc propose une interview fascinante de Saralisa Pegorier, l’artiste derrière la couverture du numéro consacré à Anne Rice. Étonnamment, l’interview ne fait pas mention de cette couverture (pour ceux qui n’ont pas suivi l’affaire, c’est ici que ça se passe / ma position rejoint celle de O_o en page 10 et j’ajouterai qu’on peut toujours faire mieux qu’une paire de nibards sur une couverture surtout quand le dossier est consacré à une autrice).
Par ailleurs, dans son article intitulé Les Électroscopes : entre science et merveilleux scientifique, Laurent Vercueil se penche sur les travaux de Hans Berger concernant l’électroencéphalographie (EEG), naviguant entre la science et le merveilleux scientifique.

Et si on passait aux nouvelles à présent ?

Le Charme discret de la machine de Turing de Greg Egan

L’histoire suit Dan, un homme dont l’emploi est remplacé par une intelligence artificielle dans un futur proche. Bien que fictive, cette situation fait écho aux enjeux actuels liés à l’automatisation et à l’impact de l’IA sur le marché du travail. Egan explore des thèmes complexes comme la précarité économique et l’angoisse face aux bouleversements technologiques, tout en restant centré les personnages et sur l’humain. Ce récit, à la fois sombre et porteur d’espoir, dresse un tableau réaliste d’une société confrontée à la montée en puissance des machines et à obsolescence des travailleurs humains. Il interroge la place des humains dans un monde où l’efficacité des IA remet en question leur utilité. La nouvelle ancre son propos dans des problématiques contemporaines et suscite la réflexion sur la place des humains dans un monde où ils sont dépendants des IA. Par sa vision à la fois pessimiste et nuancée, Egan frappe juste, offrant une réflexion aussi pertinente que troublante sur notre avenir proche. C’est, à mon avis, la meilleure nouvelle de ce Bifrost 113.

Renaissance de Jean-Marc Ligny

Dans Renaissance, Jean-Marc Ligny explore une humanité prise au piège de sa dépendance aux intelligences artificielles. Dans une cité futuriste gérées par les IA après une catastrophe climatique, les hommes ont perdu leur autonomie. Les IA gèrent tout : de la maintenance de la ville à la satisfaction des besoins humains, jusqu’à la procréation via une entité appelée « Mère ». Les humains, eux, vivent entièrement dans la « Haute Réalité », une réalité virtuelle avancée où ils ne se rencontrent plus physiquement. L’absence d’interactions humaines engendre des problèmes que les IA elles-mêmes cherchent à résoudre. Elles doivent maintenant conduire les humains à reprendre leur vie en main. Jean-Marc Ligny questionne notre relation à la technologie et ses répercussions sur la psyché humaine.

RêveVille de Thierry Di Rollo

Le narrateur de cette courte nouvelle a perdu son ombre, dans une société qui lui promet la béatitude. En peu de pages, Di Rollo crée une atmosphère oppressante, montrant l’horreur d’un contrôle totalitaire où l’immortalité et la sécurité sont offertes en échange de la liberté et de l’humanité. Court, sombre et percutant.

Rayée d’Audrey Pleynet

La nouvelle se déroule dans un monde post-apocalyptique ravagé par une épidémie neurologique semblable à un Alzheimer contagieux, entraînant la régression et la décimation de l’humanité. Les survivants portent des lettres tatouées sur leur peau, symbolisant leur état mental, et à chaque nouvelle perte cognitive, ils rayent une lettre, marquant ainsi leur déclin. Incapables de trouver un remède, les IA sont détruites par les humains, bien qu’elles aient tenté de gérer la crise. Ce récit aborde des thèmes tels que l’identité, la mémoire et la survie. La narration à la première personne renforce l’intensité émotionnelle et plonge le lecteur dans une atmosphère sombre, où l’espoir se fait rare.

En conclusion, ce Bifrost 113 apporte son lot de nouvelles de qualité en plus d’un riche dossier consacré à l’intelligence artificielle.

Pour aller plus loin

 

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