D’Alastair Reynolds
Le Bélial Une Heure-Lumière – 144 pages. Traduction de Laurent Queyssi
Les Mille (et une) nuits
Dans un avenir lointain, l’humanité a colonisé une multitude de mondes et s’est divisée en nombreuses civilisations, chacune suivant des trajectoires d’évolution très diverses, tant biologiquement que philosophiquement. La Lignée Gentiane, constituée de mille clones immortels (mais pas invincibles) créés par Abigail Gentiane, se réunit tous les 200 000 ans pour partager leurs expériences de voyage et de découverte à travers la galaxie pendant les Retrouvailles. Ces expériences sont condensées en « fils », des souvenirs montés de la période écoulée et échangés en rêve pendant la nuit. Ces réunions se déroulent sur une planète spécialement conçue pour l’occasion et l’organisateur a pour mission de rendre inoubliable cette vaste et très longue réunion de famille.
Un accroc dans la toile tissée des rêves
Les festivités se déroulent sur un petit archipel paradisiaque, situé sur une planète artificielle idyllique. Campion, le clone chargé d’organiser cette réunion, a conçu un cadre enchanteur pour l’événement. Tout semble se passer à merveille jusqu’à ce que Campion et Purslane, son amie et amante, découvrent que l’un de ses frères, Burdock, a falsifié son fil. Ils se lancent dans une enquête pour découvrir la vérité derrière cette manipulation. Ce qui commence comme une simple irrégularité révèle rapidement un complot de grande envergure, menaçant l’équilibre de l’univers (pour le dire d’une manière très réductrice)
Mélange des genres
Alastair Reynolds construit un univers d’une envergure impressionnante, aux dimensions temporelles et spatiales colossales qui défient l’imagination et transportent le lecteur très loin. Les personnages, bien qu’immortels, sont limités par la vitesse de la lumière, ce qui rend leurs voyages et leurs découvertes frustrants car des civilisations entières ont le temps de naître, se développer et s’effondrer. La technologie à leur disposition leur permet de créer et de manipuler des environnements de manière presque magique. Bien que complexe, cette technologie est décrite avec une telle clarté que l’histoire reste accessible et immersive. C’est de la hard SF, mais sans être difficile à lire.
La novella adopte une structure en huis-clos, avec une enquête sur une planète isolée où seuls les membres de la lignée sont présents ce qui fait monter le suspense d’un cran. L’enquête menée par Campion et Purslane, sur fond de festivités grandioses, permet des révélations progressives – et quelques fausses pistes – qui maintiennent la tension jusqu’à la révélation finale, dans un décor d’apothéose.
Alastair Reynolds nous livre avec La Millième Nuit un space opera d’une envergure impressionnante et d’une profondeur remarquable. J’ai hâte de poursuivre le voyage avec La Maison des Soleils.
Un extrait
– Il s’agit de relier les mondes des lignées en une entité cohérente, un empire galactique, si tu préfères. Pour l’instant, ce n’est pas encore possible. Il nous faut deux cent mille ans pour traverser la galaxie. C’est bien trop long à échelle humaine. On ne se rend pas compte du temps qui passe dans nos vaisseaux, mais ce n’est pas le cas de ceux qui vivent sur des planètes. Des civilisations entières naissent et meurent pendant que nous corrigeons nos trajectoires. Certains planétaires possèdent diverses formes d’immortalité, mais ça ne fait pas pour autant défiler l’histoire plus vite. Or c’est l’histoire qui conduit à la destruction. L’histoire qui nous empêche d’atteindre notre plein potentiel.
– J’ai du mal à te suivre.
– Pense à ces multitudes de cultures humaines, a repris Purslane. En l’état, elles existent indépendamment les unes des autres. Celles qui ne sont séparées que de quelques années-lumière peuvent échanger des idées, voire même commercer un peu. Mais la plupart sont trop éloignées pour ça : au mieux, elles possèdent une vague connaissance de la présence des autres, grâce à des transmissions et des données communiquées par des gens comme toi et moi. Mais que peuvent savoir l’une sur l’autre des civilisations situées aux deux extrémités de la galaxie ? Quand l’une entend parler de l’autre, cette dernière n’existe sans doute déjà plus. Elles n’ont aucune possibilité de coopérer, de partager des ressources intellectuelles, la moindre information. » Purslane a haussé les épaules. « Alors elles avancent à tâtons dans le noir, elles commettent sans cesse les mêmes erreurs et réinventent la roue en permanence. Quelques-unes possèdent certaines notions d’histoire de la galaxie, et peuvent ainsi éviter de répéter les pires errements. Mais d’autres évoluent sans presque rien savoir. Certaines ne se rappellent même plus comment elles ont atterri là. »
J’ai imité le geste de Purslane.
« Il en va ainsi. C’est dans la nature humaine de changer, d’expérimenter de nouvelles sociétés, de nouvelles technologies, de nouveaux modes de pensée…
– Des expériences qui brisent des sociétés et qui font bégayer l’histoire.
– C’est le propre de l’humanité. Toutes les cultures de la galaxie ont les moyens de placer leur société en stase, si elles le désirent. Certaines ont même sans doute dû essayer. Mais à quoi bon ? Nous ne serions plus humains si nous empêchions l’histoire de suivre son cours.
– Sans doute, a dit Purslane. Se mêler de la nature humaine n’est pas la solution. Mais imagine que nous parvenions à puiser dans le potentiel intellectuel de toute la diaspora humaine. Pour l’instant, ces civilisations s’agitent dans tous les sens comme des atomes dans un gaz. Mais si elles pouvaient atteindre un état de cohérence — des atomes dans un laser ? Nous verrions alors de réels progrès, chaque réussite menant à la suivante. Nous pourrions vraiment commencer à agir. »
J’ai manqué d’éclater de rire.
« Nous sommes des êtres supérieurs immortels ayant vécu plus longtemps que certaines civilisations capables de voyager entre les étoiles, y compris pas mal des Précédentes. Si nous le souhaitons, nous pouvons traverser la galaxie dans l’intervalle entre deux pensées. Nous pouvons fabriquer des mondes et anéantir des soleils rien que pour nous amuser. Nous pouvons nous abreuver aux rêves et aux cauchemars de cinquante millions de milliards d’êtres intelligents. Ça ne te suffit pas ?
– Ça nous suffit peut-être, à toi et moi, Campion. Mais nous avons toujours eu des ambitions modestes.
Pour aller plus loin
- D’Alastair Reynolds sur le RSF Blog : La Terre bleue de nos souvenirs, Les enfants de Poséidon T1, Les Chroniques de Méduse (avec Stephen Baxter)
- Lire les avis de Lorhkan, Nevertwhere, Gromovar, Les lectures du Maki, Au pays des cave trolls, L’épaule d’Orion, Ombrebones, Le Chien critique, Albedo, LAmiSelbon, Les chroniques de FeyGirl, Mondes de poche, L’Affaire Herbefol, Yossarian, f6k.
Challenge Summer Star Wars – Ahsoka
Dit comme ça, cela me fait irrésistiblement songer aux « entités supérieures » évoquées par Arthur C. Clarke dans « 2001: l’Odyssée de l’espace » (le roman – et ses suites?)… avec peut-être un petit cross-over vers « Job: une parodie de justice » de Heinlein?
(s) ta d loi du cine, « squatter » chez dasola
La Maison des Soleils y fait aussi penser.
J’ai vraiment bien fait de le prendre lors de ma dernière commande UHL. Il me reste « juste » à le sortir de la PàL maintenant. ^^
Honnêtement, cet été c’est le bon moment 🙂