Cybione – Ayerdhal

Cybione
Le Cycle de Cybione T1

D’Ayerdhal

Au Diable Vauvert – 179 pages (/768)

Avis de Monsieur Lhisbei

Elle se nomme Elyia Nahm ; elle appartient à la société Ender, un assureur qui protègent les constitutions de milliers de planètes, une société dirigée par Saryll qui fut son mari jusqu’à sa première mort puis son amant jusqu’à la troisième ou quatrième. Désormais, Saryll est vieux et décrépit. Il n’a plus rien de séduisant. Elyia, quant à elle, reste resplendissante et éternellement jeune. Elle est parfaite, belle, intelligente, forte et rapide, mais elle n’est plus humaine : elle est CYBIONE, CYbernétique, BIOlogique, cloNE.

Elle est le dernier recours d’Ender pour les situations inextricables ou les missions suicide. Elle est aussi et surtout la propriété de l’entreprise et donc de Saryll. Et Saryll tient à sa propriété. A chaque décès, un clone est recréé avec tout ou partie de sa mémoire selon ce qui a pu être récupéré, trié et sélectionné selon les préférences de Saryll. Si elle tente de fuir, des Spads à la botte de Saryll se chargent de la tuer et un clone est mis en production. Ils l’accompagnent à chaque mission. Elyia le sait, elle n’a pas le choix. Elle ne peut s’échapper, ni échapper aux Spads, à Ender, à Saryll.

Une fois de plus réveillée, elle ignore quels souvenirs lui ont été réimplantés. Sa mémoire est incomplète, car Saryll décide et sélectionne ses souvenirs, ne lui laissant que ceux qu’il estime nécessaires à sa mission. Le régime oligarchique qui dirigeait l’Union de Jaïlur est tombé. La plupart des planètes qui constituaient cette union a décidé de s’orienter vers des régimes démocratiques. Ender les a aidés a passer le cap en éliminant les résistances, en nettoyant ces mondes des derniers soutiens à l’ancien régime.
Cependant, sur la planète Cheur, ce qui reste de l’ancien régime de Jaïlur tente de déstabiliser le gouvernement en place au profit d’une organisation criminelle. Cheur est une planète contractuellement liée à Ender et est étroitement surveillée par cette dernière. Les agents dissidents parviennent à contrer les actions d’Ender et de ses agents. La société déplore de nombreuses pertes. Pour remédier à cette situation, elle décide de réveiller Elyia, leur dernière chance pour régler le problème. Avec l’aide de Deen Chad, l’un des meilleurs enquêteurs de la deuxième agence de police privée de la planète, elle devra résoudre une série de meurtres pour comprendre les enjeux et libérer Cheur du piège qui lui est tendu.

Ayerdhal explique dans la préface que Cybione est un canular, une farce écrite en 1992 en réponse à une demande de son éditeur : écrire un roman en respectant la règle des 3S – si vous ne connaissez pas cette règle, lisez la préface. Il mit trois semaines pour écrire Cybione sans relire le texte avant de l’envoyer. À sa grande surprise, il reçut un contrat accompagné des félicitations de l’éditeur : c’était, selon lui, son meilleur ouvrage. L’éternelle histoire de l’arroseur arrosé… Mais comme son héroïne, Elyia Nahm, méritait mieux, Ayerdhal lui a offert de nouvelles aventures quelques années plus tard.

Canular ou farce, ce roman aborde des sujets très actuels. Tout d’abord, il met en lumière la montée en puissance de la privatisation de la société et la monétisation d’activités dite régaliennes : police, armée, éducation, justice, impôts. La planète Cheur est certes une démocratie mais l’action policière est entre les mains du secteur privé et les officines rivalisent pour les affaires les plus lucratives. Des thèmes qui font écho à notre société contemporaine où la privatisation progresse via la sous-traitance (des prestataires au volant de voitures « radar » banalisées par exemple) et la mise en concurrence public / privé avec une stigmatisation des agents de l’État et un dénigrement systématique voir systémique de leurs actions : le privé c’est toujours mieux que le public, voyons. Comme le dit Molière, qui veut noyer son chien l’accuse de la rage.
Ensuite, le texte aborde également la question du patriarcat et des violences faites aux femmes par des hommes abusifs, pervers, imbus de leur pouvoir, de vieux mâles dominants. La relation entre Elyia et son employeur, Saryll, illustre cette dynamique toxique. Comme l’amant qui harcèle une ex, lui fait du mal ou va jusqu’au féminicide, Saryll ne supporte pas de la perdre et ne peut accepter qu’elle se libère. Il va jusqu‘à l’assassiner encore et encore puis sélectionne les souvenirs auxquels elle aura accès dans sa nouvelle incarnation, manipulant ainsi son consentement. Je vais lire la suite en espérant qu’Elyia finisse par se libérer de l’emprise d’Ender et de Saryll.

Merci M. Ayerdhal

Elle vous relit par-dessus mon épaule. Elle est toujours là.

Un extrait

Cheur, ou les excès du libéralisme médiéval, le titre est tristement bien choisi. En haut, l’État, impuissant, qui se conduit comme une entreprise peu regardante : en dessous, des trusts surpuissants qui agissent comme des États totalitaires. Tous les grands corps d’État sont privés et capitalisés, depuis l’Éducation jusqu’à la Justice, en passant par le Fisc et l’Armée. Bien sûr, un gouvernement chapeaute les grands postes d’une administration officielle – comme cette police d’État chargée de veiller à l’intégrité des entreprises policières -, mais il a été jusqu’à vendre ses Relations extérieures « politiques et commerciales » à deux firmes dont l’une est majoritairement extraplanétaire. Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que Cheur n’ait aucune préoccupation sociale, à aucun niveau, et que les règles humanitaires du Droit galactique soient bafouées quotidiennement des millions de fois. D’ailleurs, ici, le Droit galactique s’applique en dehors du système, et le Code interstellaire est à peine respecté dans les échanges extraplanétaires.

Cet article a 7 commentaires

  1. Jean-Yves

    Il était dans ma liste d’achat. J’ai un lointain souvenir de l’auteur et j’avais envie de le redécouvrir. Merci de m’avoir convaincu de sauter le pas 😉

  2. Baroona

    Étonnante genèse. C’est un coup à se dégoûter de prendre soin de ce qu’on écrit. ^^’
    Comme c’était prévu pour être un one-shot, j’imagine que le roman a sa propre fin, chaque tome est une aventure “indépendante” ?

    1. M.Lhisbei

      Bonjour Baroona,
      Cybione est un roman indépendant, il a un début et une fin. Pour les trois suivants, je les ai lu il y a très longtemps et mon souvenir n’est pas très précis mais je pense qu’ils ont aussi un début et une fin en s’inscrivant dans une histoire plus globale.

    1. M.Lhisbei

      Bonjour Jack Barron Reads,

      Merci pour votre commentaire. Pourriez-vous m’expliquer pourquoi vous avez écrit “Ach, Zut…” ?

      Je pense que ce court roman d’Ayerdhal mérite une relecture, voire plusieurs relectures. Bien que court, il est riche en contenu, comme c’est souvent le cas avec Ayerdhal.
      Après avoir refermé un de ses romans, je me dis souvent “Ah oui, il y a cela… puis cela…”, il aborde en filigrane de nombreux sujets.

      Dans la préface, Ayerdhal le décrit comme une farce, mais il l’a relu, corrigé et amélioré. C’est toujours un plaisir enrichissant de lire et relire Ayerdhal.

      Bonne journée.

  3. Zut, car je comptais le lire et faire ma chronique dessus, escomptant qu’il intéresserait moins que d’autres livres de Yal.

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