
Auteur, traducteur et cofondateur d’Elbakin.net, Emmanuel Chastellière explore depuis 2017 l’univers de Célestopol, une cité uchronique installée sur la Lune sous le règne d’un Empire russe imaginaire (Célestopol et Célestopol 1922). Il est également l’auteur de plusieurs romans de fantasy (L’Empire du Léopard, La Piste des cendres, Souveraine du Coronado) ou fantasy historique (Himilce). Pour la sortie de Célestopol 1922 : Le jeu de rôle, nous lui avons posé quelques questions et il y a répondu avec une grande disponibilité et une franchise appréciable.
L’univers de Célestopol
Célestopol est un univers que tu explores depuis plusieurs années, à travers des nouvelles. Qu’est-ce qui te pousse à y revenir ?
C’est assez indéfinissable…
Je pense qu’il s’agit, tout simplement, parmi les univers que j’ai explorés pour le moment, de celui qui me tient le plus à cœur. Et avec un format comme la nouvelle, il y a tant d’histoires potentielles à raconter ! Il y a également un côté ping-pong, une nouvelle en entraîne une autre, dévoile un personnage que j’ai envie de revoir plus tard dans un autre rôle, un autre lieu, etc. Célestopol, c’est un terrain de jeu formidable pour l’imagination, avec donc beaucoup de souplesse, mais c’est aussi la dimension littéraire qui me pousse à y revenir régulièrement. Dommage d’ailleurs que je ne sois pas plus souvent sollicité pour des anthologies, j’y répondrai avec plaisir car j’adore le format nouvelle ! En prime, sans doute que le fait de n’avoir pas encore trouvé la « formule magique » pour écrire un roman dans cet univers me travaille toujours.
Et après deux recueils et un JdR, songes-tu y revenir à nouveau ? Et sous quelle forme ?
Eh bien, justement, faute de trouver le miroir aux alouettes – si je puis dire, car j’ai parfois l’impression que c’est une quête sans fin… – qui me permettrait dans un même roman d’aborder toutes les facettes de la ville comme dans un « fix-up », je suis reparti pour un tour à écrire des nouvelles. Dans tous les cas, j’avais et j’ai très envie d’y revenir. Et, comme, en général, la plupart des gens qui ont déjà fait le voyage avec moi semblent disposés à repartir, voire impatients de le faire…
Quand tu as imaginé la cité lunaire, avais-tu déjà en tête un univers aussi étendu — ou tout s’est-il construit au fil des textes et des envies ?
Entre les deux, je crois.
Dès la première nouvelle, je savais qu’il y avait beaucoup d’autres choses derrière (après tout, l’un des personnages majeurs de celle-ci, Tuppence, est apparue en cours d’écriture alors que je ne l’avais pas du tout prévue au découpage), mais il m’arrive encore d’imaginer tout un pan nouveau auquel je n’avais pas pensé une heure plus tôt. Et le jeu de rôle m’a effectivement aussi poussé à « combler les blancs ».
D’abord parce que c’était nécessaire d’étoffer le cadre pour les joueurs, mais aussi parce que j’en éprouvais le désir, précisément. D’un texte à l’autre, j’ai la liberté de basculer vers un récit plus axé sur la SF, sur le fantastique, sur quelque chose de plus politique, spectaculaire ou intimiste… tout en conservant quelques éléments fondateurs de ce monde, qu’il soit question de mes écrits ou du jeu de rôle (le duc, la mélancolie ambiante, le rétrofuturisme…)
L’adaptation en jeu de rôle
Comment est née l’idée d’adapter Célestopol en jeu de rôle ?
L’idée n’est pas de moi ; j’avoue que je n’y avais pas songé. En fait, Coline Pignat et Simon Gabillaud, les deux têtes pensantes d’Antre Monde Éditions ont lu Célestopol 1922 sur recommandation de la chaîne Rôliste TV, et il faut croire que ce qu’ils ont découvert leur a suffisamment plu pour contacter L’Homme Sans Nom et leur proposer de transposer le recueil en jeu. J’ai été inclus dans la boucle et… voilà ! J’aurais pu ne pas m’impliquer du tout, mais si je n’ai pas beaucoup joué dans ma vie (un peu de Deadlands, de StarWars, d’Appel de Cthulhu, et c’est tout), le jeu de rôle en lui-même m’a toujours fasciné. Pour tout dire, au lycée, j’étais abonné au magazine Casus Belli alors que je n’avais pas de table. C’était l’époque des publicités Jeux Descartes ! J’ai donc tout de suite été emballé par cette perspective, même si les choses ont mis un peu de temps à se décanter avec la présence des Humanos qui devaient également valider le projet.
Comment y as-tu travaillé ?
Pour ma part, j’ai travaillé sur tout ce qui concerne l’univers justement, l’organisation de la ville, sa population, ses figures marquantes, ses lieux, cachés ou pas, ce qui se passe sur Terre pendant ce temps, de la conquête de la Lune aux Années folles version Célestopol… La dimension uchronie qui est très présente dans les deux recueils est donc bien entendu toujours là, et même plus patente encore. Et si vous n’avez jamais ouvert un Célestopol mais que le jeu vous intrigue, il a été pensé comme une entité indépendante.
Comment avez-vous défini le système de jeu ?
Le système, j’ai laissé ça à Antre Monde. Ils aiment bien avoir un système de jeu par… jeu, et pour Célestopol, même si je n’y connais donc pas grand-chose sur le plan technique, nous sommes tout de suite tombés d’accord pour privilégier un système léger. D’ailleurs, la partie règles du Livre de base fait à peine 60 pages, ce qui n’a rien d’énorme. Mais Célestopol, à l’image des nouvelles, est un jeu d’ambiance, porté sur les personnages. Difficile d’imaginer lui associer un système nécessitant 150 jets de dés pour la moindre action, 80 variables, ou de tout miser sur la bagarre pour se tirer d’affaire ou aller au bout de l’aventure. Je grossis le trait, mais c’est l’idée.
Comment s’est déroulée la collaboration avec l’équipe d’Antre Monde et avec Julien Arnaud, le co-auteur ?
La collaboration fut très productive ! Coline, Simon, ainsi que Frédéric Meurin, le coordinateur du projet, m’ont permis de me rendre compte des réalités du jeu de rôle. Écrire un roman (ou un recueil) n’est pas une activité totalement solitaire non plus, mais ça l’est bien davantage que du jeu de rôle. Antre Monde a aussi accepté de me laisser donner son avis sur les illustrations – rien ne les obligeait à le faire ! – et je les en remercie encore. J’ai parfois des idées un peu arrêtées dans ce domaine, car j’ai une imagination très « visuelle ». J’ai pu inclure une nouvelle inédite, « L’oiselier de la rue Kramskoï », qui donne un aperçu du ton de l’univers à ceux qui ne le connaissent pas, etc.
Quant au travail avec Julien, c’était franchement un bonheur. Julien est un scénariste expérimenté, qui a notamment prêté sa plume à des jeux comme Dragons, Pénombre (l’univers de Mathieu Gaborit) ou Capharnaüm. Et j’ai eu la chance que lui aussi connaisse déjà le recueil et partage la même vision du jeu que la mienne.
S’il s’est concentré sur le système, les scénarii proprement dits ou les factions auxquels appartiennent les joueurs, il m’a largement épaulé pour tout ce qui concerne les attentes du public du jeu de rôle. Par exemple, je n’y aurai pas songé spontanément, mais une grille des prix de la vie quotidienne – une miche de pain, le loyer d’un appartement ou le tarif d’un voyage en obus-traversier – était nécessaire. De mon côté, c’est vrai que si dans une nouvelle une scène peut se dérouler dans une boulangerie, je ne vais pas forcément aller jusqu’à indiquer le prix des articles.
Plus globalement, Julien s’est montré très patient à mon égard et m’a plus que secondé pendant ces longs mois de réflexion puis de rédaction. Mine de rien, c’est un projet qui m’aura occupé, certes parfois en pointillé, sur un an et demi environ.
Quels aspects du monde de Célestopol se sont révélés les plus difficiles à transposer en termes de gameplay, d’ambiance ou de liberté d’action des joueurs ?
Concernant le dernier point, c’est la vie du jeu qui nous le dira sur la durée (même si le système a été testé et que nous avions déjà tenu compte des retours des joueurs via le kit d’initiation). Comme je l’expliquais, il a toujours été question de conserver l’atmosphère de Célestopol, donc je n’ai pas eu à m’arracher les cheveux, pour, je ne sais pas, transformer cet univers en quelque chose de beaucoup plus superficiel et « dénaturé ».
Le plus difficile fut sans doute la tâche des scénaristes, dont Julien Arnaud donc et Marc Clement le co-auteur de la campagne Les Braises de Prométhée, ou Arthur Morgan, figure bien connue des amatrices et amateurs de steampunk.
Dans mes nouvelles, généralement, on retrouve un personnage central. Avec un scénario de jeu de rôle, il faut parvenir à concevoir une histoire qui réunisse 4 ou 5 protagonistes autour de la table, et de façon naturelle. C’est là qu’intervient le système de factions auxquelles sont rattachés les joueurs, comme les agents de l’impératrice (l’Okhrana, la police secrète), ceux du consortium Luna NovaTek, l’agence Pinkerton, etc.
Question bonus : Le Duc trône fièrement sur la couverture… et certains lui trouvent comme un air de famille avec toi. Pure coïncidence ou clin d’œil assumé ?
Très honnêtement, j’essaie de le prendre avec le sourire lorsqu’il s’agit simplement de me charrier à ce sujet, mais non, j’en profite pour le répéter, ce n’est pas du tout volontaire ! Bastien Jez, l’illustrateur, ne me connaît pas, et la seule référence que je lui ai donnée, c’est l’acteur Matthew Goode… qui n’a pas franchement le même faciès que moi ! Et une autre de mes références personnelles pour ce personnage, c’est Kefka Palazzo du jeu vidéo Final Fantasy VI. Donc, toujours pas moi
Suite de l’interview dans un prochain billet. 🙂
Célestopol 1922 : Le jeu de rôle
Sur la Lune, la coupole de Célestopol resplendit.
Fleuron de l’Empire russe, la cité incarne à la fois la magnificence et la démesure. Dirigée par un duc ambitieux, extravagant mécène des sciences et des arts, elle oppose à la Terre, fatiguée de décennies de guerre, l’éclat de ses salons fastueux, le foisonnement de sa culture et l’audace de ses avancées technologiques.
Née de la découverte du sélénium, minerai aux propriétés presque surnaturelles, la ville fut bâtie au xixe siècle sur le sol lunaire. Miracles technologiques, automates intelligents, machines élégantes aux reflets d’or : tout ici respire la puissance slave et le raffinement Art déco. Mais, derrière les façades monumentales et les bals luxueux, enflent les convoitises. Dans l’ombre se préparent les grandes puissances rivales, les factions occultes… et même le duc Nikolaï, prêt à défier sa mère, la tsarine, pour conserver son emprise sur la cité.
Dans ce décor unique, les joueurs incarnent des personnages hors du commun, marqués par d’étranges Anomalies. Ils ne représentent pas de simples témoins : leurs choix, leurs alliances et leurs échecs façonneront l’avenir de Célestopol. Ici, leur importance ne dépend que d’eux et leur existence est inscrite au coeur même de l’histoire. Seront-ils assez dramatiques ou assez remarquables pour y rester ? Seront-ils dignes d’être des protagonistes ?
Célestopol 1922 : Le jeu de rôle, adaptation officielle des nouvelles d’Emmanuel Chastellière, repose sur le système Anomalie, simple et centré sur la narration et le roleplay. Il utilise pour ses résolutions deux dés à huit faces ainsi qu’un troisième, le dé de la Lune, qui viendra insuffler une touche d’imprévu à vos aventures.


