Célestopol 1922 – Emmanuel Chastellière

Célestopol 1922

D’Emmanuel Chastellière

L’homme sans nom – 416 pages

Retour chez les Sélénites

Emmanuel Chastellière nous propose un retour dans les rues de Célestopol, cité lunaire sous dôme, toute en contraste, dirigée par le visionnaire et omnipotent duc Nikolaï Alekseïevitch Romanov. Dans Célestopol 1922, il tient la ville d’une main de fer mais sans occuper le devant de la scène : ses apparitions publiques se sont raréfiées, ce qui suscite nombre de rumeurs. Le conflit larvé avec sa mère, l’impératrice Gloriana, à la longévité tout aussi étonnante, perdure. Nikolaï tire sa capacité à lui résister du sélénium dont la Lune regorge et qu’il exploite au maximum.
Même s’il peut se lire indépendamment du premier opus, Célestopol 1922, fix up de treize textes déclinées sur une année (1922 si vous avez bien suivi) voit aussi le retour de plusieurs personnages comme Arnrùn et Wojtek, le duo de mercenaires composé d’une islandaise fine gâchette et d’un soldat polonais coincé dans le corps d’ours qui l’a tué. J’ai apprécié d’avoir lu le premier recueil, notamment parce que le personnage du Duc connaît une évolution importante. Il paraît à la fois plus absolu et plus fragile, plus tyrannique et plus marqué, enfermé dans sa vision de Célestopol jusqu’à l’obsession mais hanté par les fantômes du passé. Un personnage bien plus tragique et tout autant fascinant si ce n’est plus que dans le recueil précédent.
La couverture est à nouveau illustrée par Marc Simonetti et l’ouvrage contient cette fois une carte de la ville signée Olivier Sanfilippo. Même en version numérique cette carte fait plaisir à voir. Par contre, il manque un index des nouvelles…

13 textes et presque autant d’ambiances

Luttes sociales, prolétariennes ou féministes, imbroglios temporels, automates presque sentients (mention spéciale à Ajax), fantômes du passé ou figures du folklore russe s’entrelacent avec une point de mélancolie, de la flamboyance ou un réalisme poignant et toujours avec brio. Emmanuel Chastellière sort parfois ses personnages de Célestopol ce qui permet de mieux comprendre les interactions entre la cité et le reste du monde. Un peu de géopolitique vient renforcer la cohérence de cet univers uchronique.
“Toungouska”, la première nouvelle, donne le ton. Arnrùn et Wojtek, envoyés en mission sur Terre, retrouvent un scientifique dans une région isolée de Sibérie, théâtre près de quinze ans plus tôt d’une catastrophe inexpliquée. Avec un dilemme moral à l’issue radicale, le décor est planté. “Mon Rossignol” s’attache aux luttes sociales et politiques non sans cynisme et une critique sous-jacente de notre propre monde (exploitation ouvrière, pauvreté, mécanisation etc). “Sur la glace”, un texte poignant, met en scène un patineur d’exception ostracisé pour son homosexualité. “Memento Mori”, variation autour du deuil, tire les larmes sans pathos exagéré mais avec beaucoup d’authenticité. “Une nuit à l’opéra Romanova”, que l’on peut lire sur le site de l’éditeur, met en scène une rivalité de magicien dans la veine du Prestige de Christopher Priest. “Le correcteur de fortune” m’a moins séduite même si, ici on aime beaucoup les automates joueurs d’échec. Un homme a le don d’influencer le hasard (ou le destin ?) et se voit mis difficulté lors de la première confrontation entre un Grand Maître d’échec et un Automate. C’est aussi l’occasion de se frotter un peu plus à la pègre locale.
“Katarzyna”, malgré sa protagoniste et son histoire à travers temps et monde parallèle ne m’a pas plus accrochée que ça sans que j’identifie très bien pourquoi. “Le revers de la médaille” s’attache aux pas d’une jeune immigrante, Bo-Yeong et de Marie Curie et met en exergue la xénophobie d’un peuple. Glaçant de réalisme. Il m’a manqué les références pour apprécier “Un visage dans la cendre” (Lovecraft ?) mais la plongée dans la misère de la cité serre la gorge. “La malédiction du pharaon” est une très plaisante variation sur Howard Carter.”Paint Pastel Princess”, touchante autant par son personnage principal, un vétéran de l’armée marqué par la guerre que par son thème et les realtions entre protagonistes humains et automates, m’a tiré une larme aussi. “La Fille de l’hiver”, plus long de tous les textes est aussi mon préféré de tous. Anastasia, cousine du Duc et colonelle des forces spéciales de l’Impératrice Glorianna, morte en 1900 revient hanter la ville. La nouvelle mêle folklore russe et univers parallèle dans un hiver inédit sur Célestopol.
Lovecraftien sur la forme et sur le fond, le dernier texte, “Danser avec le chaos”, est celui qui m’a le moins plu. Rien de surprenant, je reste assez hermétique à Lovecraft).

En définitive, Emmanuel Chastellière nous offre donc un très bon recueil de nouvelles, maîtrisé, avec des personnages qui prennent corps à la lecture. Il gratte le vernis merveilleux et utopique de la cité céleste pour nous brosser le portrait d’une ville dans toute sa grandeur et ses petitesses.

Un extrait

Issu de “La fille de l’hiver”

— Il n’y a rien à comprendre. Je ne lis pas le temps. À chacun de tracer sa route. Il suit son cours et sa pente est inflexible.
— Où sommes-nous ?
— À un carrefour. Mais personne ne peut choisir à votre place quelle destinée emprunter. Vous n’êtes pas la fille de l’hiver. Vous n’êtes pas la fille de Ded Moroz. Vous n’êtes pas obligée de suivre la voie que l’on vous a attribuée, que le regard jeté sur vous soit bienveillant ou pas.
Anastasia ne céda pas.
— Je sais que je ne suis pas un être magique.
— Alors, à vous de décider : une vie paisible et oubliée. Ou la colère.

Cet article a 6 commentaires

  1. Emmanuel

    Bonjour !

    Il n’y pas d’index des nouvelles dans la version numérique ? Je fais remonter ça à l’éditeur alors, car il est bien présent dans la version papier !
    Pas de lien avec Lovecraft pour Un visage dans la cendre. 🙂 Juste le folklore !

    Et merci pour ce retour !

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.