Célestopol – Emmanuel Chastellière

Célestopol

D’Emmanuel Chastellière

Éditions de l’Instant -342 pages

Bienvenue à Célestopol, cité lunaire surnommée la “perle de de l’empire russe”. On la rejoint en canon comme dans De la Terre à la Lune de Jules Verne. Elle est administrée par le duc Nikolaï qui tente de s’affranchir de la tutelle de l’Impératrice. Au fil des quinze nouvelles du recueil, de 1913 à 1932., Emmanuel Chastellière dresse le portrait de cette ville sous dôme qui tire sa richesse du sélénium qu’elle exploite. Les nouvelles sont liées entre elles par des personnages que l’on croise ou recroise, par les conséquences des événements ou les enjeux et intrigues autour du pouvoir. Le recueil peut presque se lire comme un roman et j’aime beaucoup ce format. Au delà de la ville, ses fastes, ses canaux, ses quartiers pauvres, ses monuments démesurés, ses canaux, c’est aussi la figure du duc Nikolaï que l’on retrouve au détour des pages de Célestopol. Éternel séduisant jeune homme malgré le temps qui passe, stratège et manipulateur, il ne recule devant rien pour obtenir, augmenter et conserver son pouvoir. Les nouvelles relèvent du steampunk, mais un steampunk sou-tendu de questionnements science-fictifs autour de la conscience par exemple (celle des machines et des automates) et d’une pointe de magie issue du folklore russe.

Les trois premières nouvelles, “Face cachée”, “La Chambre d’ambre” et “Dans la brume” ne m’ont pas convaincues (les interactions entre personnages m’ont parues trop artificielles). J’ai beaucoup plus accroché à partir du quatrième texte. Dans “Les lumières de la ville” nous sortons de Célestopol pour suivre Sergueï, un des ouvriers qui veille sur le barrage  de sélénium avec son chien automate vieillissant. Depuis quelques temps certains automates semblent se perdre ou déserter leur poste. Les riches aristocrates de la ville viennent les chasser comme du bétail avec la complicité de l’administrateur du barrage. Sergueï mène sa petite enquête et ce qu’il découvre change la perspective de la nouvelle. Un très beau et bon texte que ces “Lumières de la ville”.

Si certains prétendaient que ces paysages désertiques et glacés leur rappelaient les enfers, et si ces personnes-là ne quittaient jamais le faste de Célestopol, ce n’était absolument pas le cas du gardien. Chez lui, ces paysages évoquaient sa Sibérie natale, qu’il avait quittée si jeune. Lorsque l’on parcourait les steppes sibériennes, on ne pouvait qu’être le témoin sonné d’un spectaculaire déploiement de monotonie.
Sergei se souvenait encore avec vivacité de ce paysage qui restait tristement identique, jour après jour. Avancer pendant deux semaines sans voir la moindre variation de terrain vous procurait l’ivresse d’une longue traversée en mer. Une traversée en mer qu’il n’était pas près de connaître ici. Le sélénium accumulé dans le barrage ou ses émanations mordorées qui se déversaient dans les canaux de la ville n’avait rien de commun avec l’eau. Il n’avait pas la même consistance, la même variété de couleur, il ne faisait aucun bruit, ne vous murmurait jamais à l’oreille ou ne tonnait jamais à vous donner le frisson…
Il en allait ainsi à Célestopol.

Retour à Célestopol avec “Les jardins de la lune”. Jusqu’ici le duc Nikolaï paraissait mystérieux, dur, mais malgré tout sympathique. Dans ce texte, on le découvre cruel et inflexible dans la punition qu’il inflige à Ivan, jardinier chargé de faire fructifier les vignes de la ville. C’est encore la figure du duc qui domine dans “Oderint dum metuant” face à l’Oiseau de Feu, un agitateur qui surfe sur le mécontentement des habitants de la Lune et plus particulièrement des ouvriers sacrifiés pour construire la cité et qui, trop pauvres, n’ont pas d’autres choix que de vivre sous la surface. La révolution gronde. Ici Nikolaï montre tous ses talents en matière de politique : retors, avec un coup d’avance, il parvient à ses fins, même si le prix à payer se révèle exorbitant. C’est le folklore russe qui fait son apparition dans “Une note d’espoir” avec le personnage de Baba-Yaga qui pactise avec le Duc ou est-ce le Duc qui pactise avec elle ? “Le Boudoir des âmes” se centre sur un automate, spirite de son état, et qui relate les évolutions de la société au travers du regard qu’elle porte sur lui. La tonalité est plus science-fictive dans ce texte. Dans “La douceur du foyer” c’est un esprit protecteur d’une demeure qui contrecarre le projet de Grand Magasin d’un entrepreneurs français (donc honni de tous puisque les français sont les ennemis d’hier). Pas accroché non plus à “La danse des libellules” autour d’un casino flottant et d’une voleur de haut niveau. Deuxième coup de coeur pour “Convoi dans les ténèbres”.  Alexey, conductrice de train sur la seule voie ferrée de la Lune, dévie de la trajectoire initiale pour rejoindre un avant poste abandonné suite à la réception d’un signal de détresse. Encore un texte qui sort de la ville. Plus tourné vers la SF, il joue avec le temps et, personnellement, j’adore ça. Je n’ai pas non plus accroché au “Chant de la lune” malgré les personnages hauts en couleur. Sentiments mitigés autour de “Fly Me To The Moon”, nouvelle présente aussi au sommaire de l’anthologie Gentlemen mécaniques. Le lecteur suit Gédéon, réparateur d’automates, en intervention dans une maison close qui propose le dernier cri en matière d’automate sexuel, Chez Hécate. La montée dramatique vers un final étonnant est parfaitement gérée. Elle prépare à la dernière et très courte nouvelle du recueil “Le roi des mendiants”.  Reste à évoquer “Tempus Fugit” l’avant dernier texte qui éclaire le duc Nikolaï sous un nouveau jour. Előd, restaurateur de tableaux, a pour mission de travailler sur un portrait du duc Nikolaï. Pas de grande surprise ici, l’hommage à Oscar Wilde se devine dès les premiers paragraphes. Et j’ai beaucoup aimé.

Globalement, le voyage à Célestopol s’est révélé des plus plaisants, une fois les premiers textes surmontés. Pour vous donner une idée, voici un petit guide touristique de la cité.

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