Le Trône de Jasmin
Les Royaumes Ardents T1
De Tasha Suri
Hachette Le Rayon Imaginaire – 680 pages. Traduction de Thibaud Eliroff
Retour de chronique du Bifrost 111
Sous l’Ère des Fleurs, le royaume de l’Ahiranya était autrefois une nation puissante et belliqueuse ayant quasiment conquis ses voisins. Après sa chute, il a été annexé par l’empire Parijatdvipa. La majorité des États composant le Parijatdvipa ont choisi de rejoindre cet empire, à l’exception de l’Ahiranya.
Aditya, prince héritier du Parijatdvipa, a renoncé au trône pour devenir prêtre du Sans-Nom, une religion originaire de la région d’Alor, laissant le champ libre à son frère Chandra et à son fanatisme religieux. Pour avoir refusé de monter sur le bûcher censé la purifier, Malini, leur sœur, est exilée et emprisonnée dans l’Hirana, un sanctuaire ahiranyi en ruines, maudit depuis que les enfants du Temple y ont péri dans les flammes par crainte que leurs pouvoirs, issus des eaux immortelles liées aux yakshas, des esprits traditionnels de la nature, ne les transforment en redoutables mages. Droguée et coupée du monde, elle dépérit sous le regard vigilant de sa gardienne. Priya, fille du temple devenue servante, est envoyée par le Régent pour tenir compagnie à la princesse captive. Son frère Ashok prend la tête des rebelles à l’autorité parijatdvipane. Les deux jeunes femmes, attirées l’une par l’autre et conscientes de leurs forces et possibilités respectives, concluent une alliance.
Tasha Suri marie des éléments de l’histoire indienne traditionnelle avec des thèmes contemporains, tout en adoptant une perspective féministe sur les grands textes de la mythologie indienne tels que le Mahabharata et le Ramayana. Elle explore la lutte pour le pouvoir par des individus qui, traditionnellement, n’y ont pas accès, ainsi que les dilemmes moraux qui en découlent et les sacrifices nécessaires pour l’obtenir. Évitant tout manichéisme, elle plonge ses personnages au cœur d’une spirale de violence, mettant en évidence la destruction de la culture et de la langue des Ahiranyis, ainsi que les difficultés de préserver ses racines dans ce contexte oppressif, et montre comment la religion peut être détournée pour devenir un nouvel outil de domination.
La narration multiplie les points de vue, même si elle se concentre principalement sur Priya et Malini. Les autres personnages permettent une vision plus complète des événements cruciaux. La première partie du roman pose les bases des personnages et de l’univers, tandis que la seconde se concentre davantage sur l’intrigue. Le récit se déroule progressivement, parsemé de tensions, jusqu’à un dénouement final qui offre une conclusion satisfaisante pour ceux qui décident de ne pas poursuivre la lecture de la trilogie, sans oublier de susciter l’envie de continuer pour les autres.
Le Trône de Jasmin, prix World Fantasy 2022 du meilleur roman, s’inscrit dans la même veine que les série The Roots of Chaos (Le Prieuré de l’oranger & Un jour de nuit tombée) de Samantha Shannon ou The Radiant Emperor (Celle qui devint le soleil& Celui qui noya le monde) de Shelley Parker-Chan: une fantasy qui puise son inspiration dans l’histoire et les mythes, offrant un univers riche et foisonnant, des intrigues politiques complexes, d’implacables luttes pour le pouvoir et des personnages en proie à de profonds conflits intérieurs. Avec Tasha Suri, la fantasy contemporaine accueille une nouvelle voix au potentiel indéniable.
Un extrait
Ils s’étaient sauvés l’un l’autre. Il l’avait abandonnée à Bhumika parce qu’il l’aimait. Il l’avait meurtrie parce qu’il l’aimait.
L’amour. Comme si l’amour excusait tout. Comme si savoir qu’il était cruel, violent et enclin à lui faire du mal atténuait la douleur dans son cœur.
Elle descendit du piédestal. Le tissu de son sari lui collait à la peau. Ses cheveux dégoulinaient. Ses pieds laissèrent des empreintes mouillées sur le sol du triveni et du couloir qui conduisait aux cuisines. La pierre scintillait sous ses pas, comme si elle marchait avec elle.
Quelle que soit sa nature – arme, monstre, maudite ou bénie –, elle était entière. Il n’y avait plus de vide en elle. Sous ses pas, l’Hirana était chaud. Une extension d’elle-même.
Elle connaissait le chemin depuis toujours.
Pour aller plus loin
- Lire les avis de L’Ours Inculte, Dup, Les Blablas de Tachan