D’Or et d’émeraude – Éric Holstein

D’Or et d’émeraude

de Éric Holstein

Mnémos – 352 pages

Simon est né en Colombie et s’appelait Siméon avant d’être adopté par un couple de français. De son pays natal il n’a gardé aucun souvenir. A 25 ans, sans parler un seul mot d’espagnol, il part pour Bogotá pour solder les comptes avec un passé qui lui est inconnu.

Le roman se découpe en trois parties bien distinctes tant sur le fond que sur la forme.
Dans la première partie Simon relate son voyage à Bogotá de manière très réaliste. En plus du carnet voyage évoquant ses pérégrinations et ses rencontres, il découvre, plutôt que des racines, une culture totalement étrangère et la réalité d’un pays dont les conséquences de la colonisation se font encore sentir. A l’arrivée Simon était un jeune homme bien dans sa peau qui se demandait vaguement ce qu’il fichait là. Après quelques jours en Colombie le voila qui tente d’assumer un héritage bien encombrant. L’écriture et le ton sont contemporains, bien adaptés au propos et au personnage de Simon (« ça sent le vécu »),  riches mais dépourvus de fioritures, non dénués d’une pointe d’humour ou de tension aux moments clés. Les pages défilent toutes seules et l’on s’attache à ce jeune homme un peu dépassé par sa vie et son destin.
Dans la deuxième partie nous rejoignons Gonzalo Jiménez de Quesada, conquistador (espagnol donc) à la recherche de l’Eldorado en Amérique du Sud. Arrivée en territoire Muisca, sa troupe, peu nombreuse car décimée par les maladies, remporte néanmoins des victoires faciles contre des peuples indiens globalement pacifiques, incapables de lutter contre des mousquets ou des épées et effrayés par les chevaux, créatures qu’ils ne connaissent pas. Le style tranche avec celui de la première partie. Du sang, de la sueur et des larmes, des descriptions sans fard de batailles, bref de l’Histoire dans une version réaliste mais portée par un style coloré. On sent un travail de documentation important et le personnage de Quesada est particulièrement réussi dans sa construction. Dans notre réalité, Quesada a fondé Santa Fé de Bogotá devenue Bogotá, la capitale de la Colombie. Dans l’univers de Éric Holstein, Quesada doit faire face à une résistance armée particulièrement ravageuse, menée par Sangsua, un muisca énigmatique que l’on dit être le dieu Bohica en personne. Et c’est ici que le récit bascule dans l’uchronie. Cette uchronie, décrite dans la troisième partie, reconstruit une Amérique du Sud contemporaine qui n’est pas tombée sous domination espagnole mais dont le modèle économique et social s’essoufle et qui peine à conserver son indépendance économique face au géant du Nord. Cette partie, une uchronie solide, est la plus descriptive du roman (et, de ce fait, paraît plus longue que les précédentes) mais aussi la plus mélancolique.
Dit comme cela les trois parties semblent être indépendantes les unes des autres. Au contraire elles sont très imbriquées (mais je ne vous dirais pas comment ni quel est le fil rouge qui les relie) et c’est la troisième partie qui livre les clés du roman. Et comme si tout ce qui précède ne suffisait pas le roman est enrichi d’appendices très intéressants qui prouvent (encore qu’à ce stade la preuve était déjà faite depuis longtemps) que l’auteur a très bien digéré sa documentation.

Bref, tout cette prose pour dire que je recommande chaudement la lecture de cet excellent (et je pèse mes mots) roman.

Un extrait issu de la première partie :
« La vérité, c’est que j’avais quatre mois et demi lorsque j’ai quitté la Colombie pour n’y jamais revenir. Mes parents sont ceux qui m’ont élevé, je les aime, non pas parce qu’ils m’ont arraché à la misère des barrios, mais parce qu’ils ont tout donné pour faire de moi quelqu’un de bien. Comme n’importe quels parents. Je les aime parce qu’ils sont Papa et Maman.
Pour le reste, je suis aussi français qu’on peut l’être. Je ricane doucement au rayon fromages des supermarchés à l’étranger, je cherche le quignon de pain pour saucer dans les restaurants chinois et j’envoie chier les touristes qui demandent leur chemin dans le métro.
Ça m’a fait mal de voir que Cat pouvait à son tour verser dans ces clichés débiles. Mais le plus douloureux a été de comprendre que, même pour elle, je n’étais qu’un greffon qui avait pris sur le sol de France. Un amputé de l’identité, dont le moignon de ses origines le grattait toujours.
C’est ce soir-là, je crois, dans le lit encore tout froissé de notre réconciliation que j’ai décidé de régler mes comptes, une bonne fois pour toutes, avec mon histoire. »

Vous pouvez visiter le site du livre et lire quelques chapitres ici, chapitres issus de la deuxième partie du roman et qui vous donneront une idée du style. Vous pouvez aussi retrouver Éric Holstein en interview sur la Salle 101 et chez Ferocias.

Cet article a 10 commentaires

  1. Karine:)

    Ah oui, vu comme ça, les trois parties ont l’air vraiment distinctes les unes des autres… mais si tu dis excellent, je vais te croire… et noter!

  2. Efelle

    Je l’ai acheter, je vais essayer de le lire avant la fin de l’année…

  3. Lhisbei

    @ Karine : elles sont distinctes par l’époque (présent – passé – présent uchronique) mais elles sont très intimement liées (mais je ne veux pas dire comment bien que d’autres avis le dévoilent)
    @ Efelle : zut si j’avais su j’aurais pu te pousser à une lecture commune [heuu hum]

  4. NicK

    Couverture atroce => j’attendrai la version poche si on change la couv’. :p

  5. Vert

    Ils en disaient que du bien à la salle 101 de ce roman, vais finir par investir (ou attendre que la bibliothèque le fasse pour moi ^^)

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