De Georges Panchard
Robert Laffont Ailleurs et Demain – 478 pages
Sept personnages, sept trajectoires, sept parcours de vie pour former un tout cohérent qui vient compléter Forteresse, c’est ce que nous propose Heptagone. Heptagone et Forteresse peuvent se lire indépendamment l’un de l’autre mais, si vous avez l’intention de lire les deux, mieux vaut commencer par Forteresse. Si vous commencez par Heptagone, les points clés de Forteresse vous seront en partie dévoilés diminuant d’autant votre plaidir de lecture si vous décidiez de prolonger le voyage avec ce dernier. Mieux vaut donc suivre l’ordre de publication, d’autant plus que Forteresse est sorti en poche en 2009 et qu’il est toujours disponible. Heptagone reprend donc sept personnages présents dans Forteresse et nous livre leur histoire avant, pendant ou après les évènements de Forteresse.
Nous retrouvons d’abord Haruki Miyagawa, l’énigmatique ninja, le servant nostalgique d’un Japon fantasmé où les samouraïs respectaient encore le bushido. Nous suivons sa jeunesse, sa transformation physique et mentale en tueur froid et obéissant par une firme transnationale et ses débuts. Un texte émouvant et poignant qui reste empreint de violence.
Puis nous l’auteur revient sur les pas d’Adrian Clayborne, chef de la sécurité de Haviland Corporation en plein débat philosophique sur la suite à donner à sa carrière après la mort de Brian Mannering, le big boss. Le personnage de Clayborne est presque l’incarnation du bon flic des films américains, un peu justicier sur les bords, beau garçon et droit moralement. Il est trop lisse à mon goût et la happy-end romantique qui lui est réservée m’a plus agacée qu’autre chose. Heureusement ce côté « homme parfait » est terni par son échec à retrouver et à punir les meurtriers de Mannering.
Nous suivons ensuite l’itinéraire de Gianna Caprara, policière italienne mais aussi guerrière pendant les luttes contre les islamistes intégristes. Ici le destin personnel et intime du personnage est âprement mêlé à celui de son pays, d’une Europe en pleine guerilla ou en reconstruction. L’un des plus beaux textes du roman.
Sherylin Leighton, l’exilée, qui semble fuir le régime de son pays, à moins qu’elle ne fuie autre chose. Ce personnage, présent en arrière-plan dans Forteresse, prend ici plus de consistance. Sa psychologie, son fonctionnement intérieur, sa dualité sont mises au jour. C’est l’un des textes qui apporte le plus de réponse sur l’intrigue principale de Forteresse, le suicide/meurtre de Mannering.
Jack Barstow le dissipateur se retouvre face à un Archange, un des meilleurs tueurs de l’UABS (Union of American Biblical State), chargé de l’éliminer après la dissipation de Richard Winfield, le provocateur qui avait ridiculé le révérend Beveridge, Président d el’UABS lors d’un discours télévisé. Sa vie et ses souvenirs défilent lors de l’instant final. Barstow nous éclaire sur la guerre vécue au Royaume-Uni et l’arrivée massive des réfugiés politiques américains même si c’est par le petit bout de sa lorgnette personnelle.
Avec John Fuller, le bras droit de Beveridge, nous avons l’occasion de revenir sur la naissance de l’UABS, sur la révolution religieuse portée par ce prédicateur. Le décorticage est sans concession et reste terrifiant.
Le dernier texte revient sur Lyndon Mitchell, l’artiste américain à fleur de peau qui se suicide dans Forteresse. Le flashback est total et ce texte pourrait être l’introduction de Forteresse tant il prépare son arrivée.
La construction de Heptagone impressionne presque autant que celle de Forteresse même si elle est moins complexe. Les flashbacks sont utilisés de manière différente : là où la narration changeait de personnages et de temporalité dans Forteresse, ici les septs histoires sont cloisonnées et les flashbacks ne concernent qu’un seul personnage à la fois. Heptagone se révèle donc plus facile d’accès. Heptagone est dépourvu de certains défauts présents dans Forteresse. Moins outrancier, le trait dénonciateur y est moins épais et le monde présenté ici gagne en nuance. Il permet aussi d’aller plus loin dans le démontage des mécanismes politiques découverts dans Forteresse : la montée de l’intégrisme religieuse aux Etats-Unis qui a débouché sur la création des Etats Bibliques ou la guerre de religion en Europe y sont dissequées plus avant.
Un extrait pour terminer, extrait dans lequel Gianna Caprara se remémore une fête entre collègues, un extrait anecdotique mais qui ma plus marqué que les autres :
« Il avait apporté un trousseau de tiges de métal utilisé par les malfrats pour ouvrir des serrures, qu’il avait du faucher dans un des cartons du sous-sol. L’objet avait, les archives l’attestaient, été saisi sur un voleur en 1920.
Rossi avait aussi apporté une vieille serrure à demi rouillée, ses deux parties fixées sur une grosse planche. Le concours avait consisté, bien sûr, à la crocheter le plus rapidement possible au moyen des outils du siècle précédent.
Ils avaient tous un eu appris à faire ça, un jour ou l’autre, puis l’avaient oublié, se concentrant sur les dispositifs modernes, bourrés d’électronique, et de nanotechnologie pour les plus avancés. Seuls quatre des flics avaient réussi. Et Gianna avait gagné, après de nombreux tâtonnements et jurons, en une minute et quatorze secondes. Il y avait eu des commentaires sur les vertus d’une main de femme. Comme prix de son exploit, elle avait reçu le trousseau qu’elle baladait souvent dans une poche de son blouson. Elle ne s’en était servie qu’une fois, lors d’une perquisition chez un receleur, mais il était parfait pour lester un vêtement, de manière à pouvoir mieux en écarter le revers si elle devait sortir son pistolet très vite. Il était temps qu’il resserve. »
Je vais le lire, celui là… Merci; M’me Lhisbei…
J’ai vraiment beaucoup aimé les deux romans de Georges Panchard, qui valent autant pour leur intrigue que pour leur contexte.
Merci!
Merci et bravo pour cette participation – un billet captivant! Justement, je prévois de lire ce roman très prochainement. [Youpiii]
Quoi? Moins complexe que forteresse???
(de la part d’un certain jeune lecteur passioné)Wouah! En effet visiter des librairies/blogs remplis de personnes bien intentionnées peux bien vous spoiller votre livre en lecture. Bon c’est ma faute aussi [la tu vois] je l’ai cherché à lire des séries dans le mauvais ordre. Bien heureusement j’avais lu les premières pages (glauques…) de Forteresse hier! Cet article m’annonce ,en même temps que la mort d’un personnage, que Forteresse est plus encore plus haché en mode triller que Heptagone! Déjà que j’en ai bavé pour garder mon état mental intacte à certains moments de ce dernier, j’ai peur de continuer le second (ou premier) Mais je pense que ce sera quand même une bonne expérience, et puis je vous fait confiance (après vous êtes bien plus aguerris en littérature futuriste que moi [Papy] eh eh enfin un jeunot qui nous respecte[Papy]) en matière de conseil, donc je vais le finir, ce fameux bouquin.
Tu as raison. Sans le vouloir j’ai spoilé sur Forteresse et je te présente mes excuses pour ça. Bon tu conserveras tout de même une surprise (et une belle).
Oui la construction de Forteresse est encore plus complexe : les fils narratifs sont mélangés alors que dans Heptagone on s’attache aux pas d’un personnage à la fois. Mais je suis sûre que ta santé mentale y survivra (sinon tu peux aussi tricher grâce au sommaire en fin d’ouvrage pour reconstituer une linéarité)
pour ce qui est du respect des Anciens, oublie lis les blogs si tu veux, tends une oreille aux conseils des vieux lecteurs, mais ne suis qu’une seule règle : te faire plaisir quand tu entres dans une librairie (ou dans une médiathèque). Si un bouquin te tente, fonce. Certains livres te décevront, c’est le risque mais c’est aussi ce qui fait le sel de la vie de lecteur. Et n’oublie pas que les vieux, aguerris ou pas, ça dit aussi beaucoup de bêtises
Bonne nouvelle
Je me demandais justement ce que devenait Panchard. Je vais pouvoir relire le premier et investir dans le second…