De Fabien Maréchal
Dialogues – 120 pages
L’illustration de couverture annonce d’emblée la couleur. Les sept textes au sommaire de ce recueil vous mettent la tête à l’envers. Un petit grain de folie, une bizarrerie, l’impression que quelque chose cloche et voici un monde qui ne tourne pas rond. Et quand les repères s’effacent, l’homme se met à nu.
Il faut toujours bien fermer portes et fenêtres. Sinon la cafetière se fait la malle, le paquet de pâtes tente de rejoindre son habitat naturel d’avant transformation et c’est la voiture qui décide ou pas de vous transporter. Dans « Café ? », les objets agissent de leur propre chef, reprennent leur liberté et le chaos n’est pas loin… surtout dans une société de consommation effrénée qui en perd ses repères et la raison. Folie assurée.
« Nus », la plus longue des nouvelles, met en scène un dîner entre amis. Dans un pavillon de banlieue, Hélène et Éric reçoivent Martine et Henri. Rien de très original, si ce n’est que Martine et Henri sont nus. Absolument et irrémédiablement nus. Ce qui, allez savoir pourquoi, exacerbe les caractères, révèle les personnalités et finit même par marquer les différences sociales…
« Pas de nouvelle… » tutoie l’absurde et la satire. Le rédacteur en chef d’un journal télévisé cherche avec fébrilité une bonne nouvelle à diffuser pour égayer l’édition du soir, entre reportages de guerre et faits divers sordides. Il désespère de ne pas en trouver. Et que fait-on quand on ne trouve pas ce qu’on cherche ? Eh bien oui, on invente. Mais s’il est facile d’inventer une bonne nouvelle, il faut ensuite la réaliser…
« Récréation » nous offre une pause dans ce monde sans dessus-dessous. Allumons le poste de télévision et vidons-nous la tête devant la dernière émission de télé-réalité à la mode. Cette dernière consiste purement et simplement à dénoncer les travers de ses voisins, les mesquineries de son entourage, les actes immoraux ou les crimes et délits de sa famille devant un animateur déchaîné à l’enthousiasme qui ne faiblit jamais (Nikos sort de ce personnage !) et des millions de téléspectateurs voyeurs. La délation à son paroxysme, une effrayante mise en abyme d’un phénomène de mode persistant qui ne fait que rarement ressortir le meilleur de l’être humain.
« La Ligne » est un texte empreint de nostalgie sur un temps qui n’existe plus, celui où les trains n’avaient ni horaires, ni destinations connues. Monter dans un train c’était partir à l’aventure, sauter dans l’inconnu et commencer une nouvelle vie.
« Les voisins » paraissent de prime abord terriblement normaux. Ils cuisinent, en outre, très bien. L’ingrédient principal de leurs menus n’est pas banal : ce sont leurs voisins. L’horreur prend, dans ce texte, l’apparence de la normalité.
Dans « Ceux d’en haut » les oiseaux ont pris le pouvoir. La dictature à plume est impitoyable et la métaphore de notre société sans artifice. Alfred Hitchcock avait raison de se méfier des volatiles.
Un extrait
« Le procureur s’est levé en prenant appui sur sa tablette. La calvitie lui dessinait une auréole monastique. Il portait de fines lunettes au cerclage presque invisible, posées très en avant sur le nez. Les procureurs sont de fer. Mais celui-là paraissait rouillé de l’intérieur. Les oiseaux, à ce qu’on raconte, lui avaient presque dicté ses réquisitions. Sa voix grinçait. Au milieu de son texte, il a enlevé ses lunettes et s’est essuyé les yeux avec un pan de sa robe.
Il a prononcé les mots « exemplarité » et « devoir » à plusieurs reprises. Il semblait toutefois ne plus comprendre la loi qu’il faisait appliquer, ne plus reconnaître la société qu’il était censé défendre. Mais entre la justice et sa tâche, il choisissait sa tâche. »
Si tous les textes du recueil n’apportent pas une réflexion profonde sur la nature humaine – car c’est bien de cela qu’il s’agit en fait – ils nous tendent un miroir déformant suffisamment déjanté pour nous pointer l’absuridté de notre monde tout en restant assez léger pour nous autoriser à ne pas l’utiliser. Au lecteur de choisir puis de se poser les bonnes questions s’il décide de d’y jeter un oeil. En fin d’ouvrage un QR code permet aux possesseurs d’un smartphone de télécharger gratuitement le recueil au format pdf – pour ceux qui n’ont pas de smartphone, le téléchargement est possible grâce à un lien. C’est astucieux même si un peu accessoire.
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Je me suis trouvé une fois avec plein de gens dans la maison de famille avec piscine d’un copain et il y avait son oncle et sa tante naturistes et nus durant tout l’après-midi pour profiter du soleil et de l’eau.
Finalement, ils devenaient un pôle de distraction dont il était presque impossible de se détacher complètement.
Des nouvelles bien sympa à lire, pour ma part j’avais beaucoup aimé “Café ?” et “Récréation” !
@ Gromovar : je n’ose pas imaginer cet après-midi particulier [mdr]
@ Lune : oui j’ai vu ça dans ton billet. de mon côté et j’ai bien aimé aussi la nostalgie qui se dégage de La ligne et la dernière nouvelle m’a un peu glacé les sangs
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