Treizième entrée dans la série des Miscellanées de nouvelles. Toujours avec une formule brasserie : entrée & plat ou plat & dessert au choix. Deux textes publiés par les éditions Mythologica, cette fois. Ici, ils ont été lus sous leur forme numérique.
Commençons par « L’Ombre double » de Clark Ashton Smith réédition publiée aux éditions Mythologica. De l’auteur, j’avais déjà lu La Flamme chantante, aux éditions Actes Sud. Il me semble que les éditeurs ne ménagent pas leur peine pour faire connaître l’auteur, contemporain et ami de Lovecraft et j’apprécie cette démarche.
« L’Ombre double » est une courte nouvelle centrée sur un Avyctes le sage (son ambition dévorante de savoir le pousse à l’imprudence et sa sagesse ne concerne que ses connaissances, pas son attitude) et Pharpetron, son disciple, deux sorciers exilés volontaires de Poséidonis. Ils poursuivent leur vie d’études et d’invocations dans un manoir proche de la mer. Après la découverte d’une mystérieuse tablette du peuple perdu des hommes-serpents, ils invoquent une créature du fond des âges qu’ils ne parviennent pas à maîtriser.
Nous sommes en Atlantide, continent imaginaire fascinant pour les écrivains et les lecteurs. Son attraction est puissamment rendue par la plume de Clark Ashton Smith. J’ai retrouvé, dans cette nouvelle, tout ce que j’avais apprécié dans La Flamme chantante (richesse du vocabulaire, langage soutenu, parfaite maîtrise de la conjugaison et des temps guère utilisés dans les récit modernes) sans les défauts. Clark Ashton Smith parvient à mettre en mot l’indescriptible et l’indicible, sans avoir besoin d’effets spéciaux spectaculaires. L’Ombre du mal suffit souvent à faire frissonner. L’effet produit, malaise puis peur chez le lecteur, en est décuplé. Une réussite.
À certaines heures, lorsque la marée s’était retirée des rochers, il nous arrivait de descendre des escaliers cachés pour gagner une plage enclose en forme de croissant derrière le promontoire sur lequel se tenait le manoir d’Avyctes. Là, sur les sables humides, nous trouvions des résidus curieux et usés venus de rivages lointains, et les trésors que les ouragans avaient arraché à leurs profondeurs insondables. C’est là que nous avions découvert de grands coquillages pourpres et violets, des morceaux grossiers d’ambre gris et des fleurs blanches de corail perpétuellement écloses ; et un jour, l’idole barbare de bronze gris qui avait servi de figure de proue à une galère d’une île d’Hyperborée.
Durant la nuit, une grande tempête avait balayé l’île et avait dû ratisser les profondeurs les plus intimes de la mer ; mais elle s’était dissipée au matin et, en ce jour fatal où nous trouvâmes la tablette, le ciel était immaculé et les vents démoniaques s’infiltrant entre les crevasses et les arêtes rocheuses s’étaient tus ; la mer se retirait en un murmure doux comme le bruissement de la traîne des robes de samite tirées par les demoiselles fuyant sur le sable. Et juste en deçà de la vague qui se retirait, dans un amas d’algues marines, nous avons contemplé un objet brillant comme le soleil. J’accourus pour l’arracher au sable avant que la vague ne revienne et allai le porter à Avyctes.
Passons à « Sorcerêve » de Julien d’Hem. Si vous lisez ce blog depuis quelques temps, vous le savez déjà, je suis fan de ce que fait Julien d’Hem. Que ce soit sa nouvelle, « Le Crépuscule de l’Ours », parue dans l’anthologie Rois et capitaines ou son roman L’Oeil et le poing, j’ai toujours pris plaisir à lire ses écrits. « Sorcerêve » est paru dans Myhtologica n°2. Ce texte-ci n’a pas échappé à la règle.
Tsukiko, capitaine pirate à la tête d’un équipage féminin de Louves, est un Sorcerêve, un sorcier capable de s’infiltrer dans les rêves et de pénétrer l’esprit du créateur pour ensuite pouvoir faire ce qu’il lui chante, y compris tuer le rêveur si l’envie lui en prend. Le Daimyô (l’empereur) craint les Sorcerêves, et c’est un motif suffisant pour exterminer le peuple dont ils sont issus et de kidnapper les plus jeunes pour en faire des armes puissantes. Tsukiko a assisté au massacre des siens et s’est juré de se venger en assassinant le Daimyô. Comment vaincre un ennemi capable de s´infiltrer jusque dans vos rêves ?
La danse débute. Les portails tourbillonnent dans une sarabande de soieries et de bruissements. Lorsqu’ils s’arrêtent enfin, celui que je cherche depuis si longtemps se dresse devant moi.
Purpurin, veiné d’obscurité. D’une noirceur plus menaçante que tous les cauchemars dans lesquels je me suis déjà engouffrée.
Je suis prise d’hésitation. Je contemple la plaine autour de moi. D’autres portails sont là, à me promettre un séjour sans douleur, sans peine ni souvenirs, tandis que le rêve du Daimyô caresse la frontière d’une réalité à laquelle j’essaye tant d’échapper.
Je passe le portail.
Fantasy japonisante et exotique, la plume de Julien d’Hem évoque des images envoutantes, mêlant Japon médiéval, magie et univers de pirates des mers. Le style, travaillé, ne paraît jamais artificiel. La construction autour de deux temporalités, celle de l’action (et son style nerveux) et celle du rêve (et sa plume plus onirique), sert le récit. Un bon texte qui se suffit à lui-même et qui donne envie de voir l’univers développé dans d’autres nouvelles ou dans un texte plus long.
C’est la nuit. Quelques lanternes éclairent une rue fréquentée de la capitale.
Une brume s’étire en une poix épaisse depuis le fleuve, étouffe les sons, avale les gens. La lune darde un œil évanescent sur ce monde spectral.
Sur mon kimono de soie turquoise, tout un bestiaire – héron, phénix flamboyant, louve d’argent et nœud de serpents – s’anime pour se donner une chasse incessante.
Je pose la main gauche sur la poignée de Taille-Lune, mon katana. La lame coulisse en silence hors du fourreau. La lueur d’une lanterne fait naître un éclair bleuté sur l’acier acéré. Je rengaine. Dans ma ceinture sont glissées quelques armes de jet, tandis que mon visage est protégé par une fine résille métallique incrustée de fragments de jade.
Quelques points divers pour terminer : les epubs sont sans DRM (merci), les couvertures de Mathieu Coudray sont splendides (et, oui, la couverture en numérique ce n’est pas en option) et le prix de ces ebooks est on ne peut plus raisonnable (0,99€ chacun).
Je ne suis jamais intéressé de près aux éditions Mythologica, un tort visiblement, surtout à ce prix là. Et puis c’est l’occasion de retrouver Clark Ashton Smith, un peu trop rare tout de même en France ne édition récente…
Oui cette maison d’édition démarre son activité lentement mais sûrement. 🙂