L’épée brisée – Poul Anderson

l'épée briséeL’épée brisée

De Poul Anderson

Le Bélial – 255 pages sur ma liseuse (epub)

 Voici une lecture qui a mal commencé. Et elle a mal commencé à cause d’une préface. On ne se méfie jamais assez des préfaces.

La préface qui accompagne L’épée brisée n’en est pas une puisqu’il s’agit plutôt d’un article critique dans lequel Michael Moorcock établit un parallèle avec Le Seigneur des Anneaux de Tolkien, sorti la même année (1954). Plutôt qu’un parallèle, c’est surtout une descente en flammes du roman de Tolkien au regard de L’épée brisée. Outre le fait que la provocation n’est ni subtile, ni intelligente (même si elle reste érudite), elle a le mauvais goût de dévoiler trop le roman. Et ayant lu, il y a longtemps (1999 pour être précise) Le Seigneur des Anneaux – et peiné sur son ventre mou : ils marchent, ils mangent, ils dorment, ils marchent, ils mangent, ils dorment, ils marchent, oh ! Attention ! Un Nazgûl ! – je n’aurais pas, spontanément, fait le rapprochement entre les deux oeuvres tant elles sont différentes (et il faut plus qu’une épée brisée et reforgée pour les rapprocher). A partir des mythologies, des contes et légendes et des folklores nordiques Papi Tolkien invente son propre univers alors que Poul Anderson s’inscrit pleinement dans celles-ci. Le ton du roman, le vocabulaire, la narration, les personnages, les créatures, tout dans ce titre sonne comme une histoire mythologique scandinave classique. Pas de recréation ici, mais une saga (oui, je sais, les sagas sont islandaises [mode= « Régis Boyer » on]) d’ampleur sur le fond à défaut de l’être sur la forme. Car sur la forme, L’épée brisée est à l’exact opposé Seigneur des Anneaux.  320 pages contre plus de 1 000 pages de l’autre (sans compter les avatars divers et variés issus de la Terre du Milieu) pour, de chaque côté, des intrigues politiques, des batailles épiques, des trahisons, des histoires de famille compliquées, des créatures magiques. Autre différence, les elfes, le sexe et les femmes. Les elfes de Poul Anderson ne sont pas des êtres purs et éthérés : ils sont rudes, plus proches des fays pendables des contes et légendes que de la jolie Arwen. Le sexe, absent de la Terre du Milieu, n’est pas passé sous silence et, les femmes elfes, qui se battent avec toutes les armes qu’elles ont à disposition (ruse et manipulation comprises), l’utilisent pour arriver à leurs fins.

Pour être brève, cette préface m’est donc restée sur l’estomac pendant toute ma lecture, puisque je n’ai pas réussi à m’empêcher de comparer en permanence les deux oeuvres  (note pour plus tard, lire les préfaces, comme les textes de 4eme de couverture, APRES lecture du roman). Si vous avez lu la préface, vous voyez que Moorcock et moi sommes sur la même longueur d’ondes sur certains points. Mais ça, j’aurais aimé le découvrir par moi-même. Après lecture (note pour plus tard bis repetita). Dommage. D’autant plus que toute la fantasy essaie d’exister en s’affranchissant de l’image parfois écrasante du pseudo père et que, pour un roman dont on dit qu’il a contribué à fonder le genre tout comme le SdA, c’est contre-productif de le ramener sur ce terrain là. Publié en France des années après Tolkien, on ne peux y voir son égal en terme d’importance et de rayonnement. Il aurait mieux valu le mettre en perspective avec les oeuvres de ses « descendants » comme celles de … Moorcock (eh oui).

Et puis, de toute façon, L’épée brisée est un très bon roman qui n’a pas besoin d’être contextualisé dans une préface pour être apprécié à sa juste valeur. Il est d’ailleurs temps de parler un peu plus du roman. Orm le Fort, cinquième fils d’un seigneur viking ne peut prétendre à un héritage digne de ce nom. Il part donc conquérir sa propre terre et navigue jusqu’au Danelaw qu’il envahit. Il tue la famille du propriétaire anglais et brûle sa demeure. Mais la mère survit et maudit Orm. Quelques années plus tard, Orm donne naissance à un fils, Skafloc. Imric, le Duc des Elfes, manipulé par la sorcière, enlève l’enfant, et le remplace par Valgard, un changelin mi troll mi elfe dont il est le père. Skafloc, droit et pur, grandit chez les elfes considéré comme le fils d’Imric, tandis que Valgard, brutal et sanguinaire désespère sa famille. Comme dans toute saga, la guerre n’est pas loin, les Dieux non plus et l’affrontement entre Skafloc et Valgard inévitable. Sur 320 pages sont condensés le fracas des armes, le sang des batailles, la fureur de deux êtres – manipulés et trahis – que tout oppose et dont l’unique objectif est d’éradiquer l’autre, les larmes des mères et des soeurs, les destins brisés, tragiques de peuples dépassés par les jeux et les enjeux des Dieux. 320 pages nerveuses, denses, où chaque mot fait sens, où Poul Anderson convoque le panthéon nordique et s’en donne à cœur joie pour nous concocter une geste d’une ampleur remarquable.

Un dernier mot sur la couverture ? Je suis habituellement fan du travail de Nicolas Fructus, mais, là, cette couverture, non vraiment, ce n’est pas possible. Les libraires affirment que l’illustration de couverture en SFFF pèse à hauteur de 50% dans la décision d’achat. Je ne peux pas leur donner tort. Celle-ci me révulse tant que j’ai opté pour une version numérique, me privant aussi des illustrations intérieures, qui, elles, sont plus conventionnelles, mais tout autant travaillées. La preuve :

Illustration Nicolas Fructus
Illustration Nicolas Fructus

En définitive, L’épée brisée est un excellent roman quelque peu desservi par une préface traitresse et une couverture repoussante.

Une citation pour la fin.

« Je remercie tous les jours Imric de m’avoir sauvé de la morne routine d’une vie humaine. Je suis elfe en tout sauf par le sang : c’est le sein d’une elfe qui m’a nourri bébé, c’est la langue elfique que je parle, c’est auprès des filles elfes que je dors. » Il releva sa tête fauve d’une façon frisant l’arrogance. « Que monseigneur me le demande, et je serai le meilleur de ses chiens – mais si le chien est chassé, il devient loup et se repaît des troupeaux de son maître. »
Les elfes foncèrent et la clameur de la bataille résonna dans la nuit. Les cors trolls rugissaient, les cors elfes criaient, les trolls hurlaient comme des loups, les elfes comme des éperviers, une cacophonie de haches trolls heurtant les boucliers elfes, d’épées elfes s’abattant sur les casques trolls monta tel le tonnerre vers les étoiles et vers l’aurore boréale.
Hache et épée ! Pique et gourdin ! Bouclier fendu, heaume fracassé et broigne en lambeaux ! Le geyser rouge du sang elfe coulant à côté du gel vert et glacé du sang troll ! Et la danse de mort frémissante des lumières dans le ciel !
Deux hautes figures, presque impossibles à distinguer l’une de l’autre, dominaient le combat. La hache tumultueuse de Valgard et l’épée vive de Skafloc moissonnaient le sang de leurs ennemis. Pris de folie, le berserker écumait, rugissait, frappait tous ceux qui l’approchaient ; Skafloc restait silencieux mais il était à peine moins meurtrier, se déplaçant à une vitesse saisissante.

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(320 pages au format papier)

Cet article a 16 commentaires

  1. Lorhkan

    Sacrilège, les sagas sont islandaises, pas finlandaises. 😉

    Je te rejoins sur le reste : roman de qualité, mais dont la comparaison avec « Le seigneur des anneaux » n’a pas lieu d’être, préface qui spoile un max et qui ferait mieux d’être une postface, et un Nicolas Fructus qu’on a connu plus inspiré pour la couverture.
    Bref, je viens de répéter tout ce que tu as dit en fait.^^

    1. Lhisbei

      Régis Boyer sortez du corps de Lorhkan immédiatement !
      Tu as raison bien sûr, je corrige de suite. ^^
      Et pour le reste, 100% d’accord avec nous (hu hu);)

  2. Xapur

    Pas encore lu, mais bien d’accord pour dire qu’il faut éviter de lire les préfaces avant les romans, hélas leurs auteurs ont souvent tendance à trop en dire.
    Tiens, tu n’aimes pas la couv’ ? Etrange… 😉

    1. Lhisbei

      C’est d’autant plus difficile de résister à la tentation de lire cette préface qu’elle est du grand Moorcock. M’enfin bon, on ne m’y prendra plus ^^.
      Nan mais la couv, quoi. Parfois je me demande si les éditeurs veulent vendre leur production…^^

  3. Vert

    Je vois qu’on a le même avis sur la préface (bien qu’on ait un avis diamétralement opposé sur Tolkien ;)). On devrait supprimer les préfaces et n’écrire plus que des postfaces !

    1. Lhisbei

      Tout le monde a tiqué sur la préface. Je suis peut-être celle qui en parle le plus, mais ça m’énerve qu’on passe sous silence ce qui ne va pas. ^^

  4. yueyin

    C’est pas beau de dire du mal de JRR mais sino je me demande bien pourqoi je n’a pas lu celui-là alors que j’ai lu du POul Anderson ça c’est sûr (quoi pas contre 🙁 ), m’en vais réparer ça…

    1. Lhisbei

      C’est paru en français il y a peu de temps, mais en VO ça date, en effet…
      J’adore le SdA de JRR, mais je voudrais bien qu’on reconnaisse qu’il y a un / des ventre(s) mou(s) dans cette saga… ^^

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