Cookie Monster – Vernor Vinge

Cookie Monster

De Vernor Vinge

Le Bélial – 112 pages – Traduction de Jean-Daniel Brèque

Dixie Mae a l’impression d’avoir touché le gros lot avec son nouveau boulot. Bon d’accord, il ne s’agit que d’un poste en conseil clientèle, mais c’est mieux que de cuire des hamburgers à longueur de journée et de rentrer chez soi en puant le graillon. Surtout quand la boite qui l’emploie s’appelle LotsaTech, un géant high-tech de la Silicon Valley, une firme qui paie bien, offre des conditions de travail décentes incluant une piscine et une salle de gym pour ses employés. Dixie Mae se dit qu’avec un peu de chance, elle parviendra à ne pas tout gâcher cette fois, à faire son trou et  recoller les morceaux de sa vie. Après une semaine de formation accélérée, la voici concentrée sur les premières requêtes qui lui arrivent. Si elle tient à être performante, elle garde à l’esprit qu’elle a tout son temps, du moment qu’elle termine tout travail entamé avant la fin de la journée. Quand un de ses collègues reçoit un mail étrange avec des détails connus d’elle-seule, Dixie Mae sent bien que cette première journée part en sucette, même si elle ne s’attend pas à ce qu’elle va découvrir en remontant le fil des indices disséminés dans ce mail.

Mais l’attention de Dixie Mae était ailleurs. À sa gauche s’étalait le paysage familier de Los Angeles. À sa droite, la ligne de crête n’était qu’à quelques centaines de mètres. De là-haut, on voyait sans doute jusqu’au fond de la vallée, et on pourrait repérer toutes les rues de Tarzana. Ce serait sympa de retourner là-bas un de ces jours, de prouver à papa qu’elle pouvait garder son calme et accomplir quelque chose. Toute ma vie, j’ai merdé comme je merde aujourd’hui. Mais ce message de « Lusting », c’était comme trouver un cambrioleur dans sa chambre. Ce salopard en savait plus sur elle qu’il ne l’aurait dû, il s’était moqué de sa famille et de ses origines. Si Dixie Mae avait grandi dans le sud de la Californie, elle était née en Géorgie – et elle était fière de ses racines. Peut-être que papa ne s’en était jamais rendu compte, vu qu’elle passait tout son temps à se rebeller. Maman et lui disaient qu’elle finirait bien par se ranger un jour. Sauf qu’elle n’était pas tombée amoureuse du bon mec – et c’étaient ses parents qui avaient pété un câble. Ils avaient eu des mots. Et même si ça avait fini par foirer avec son mec, il n’était pas question pour elle de retourner les voir. Sa mère était déjà morte à ce moment-là. Non, je ne retournerai voir papa que le jour où je pourrai lui montrer que j’ai réussi ma vie.
Alors pourquoi merdait-elle l’emploi le plus cool qu’elle ait trouvé depuis des mois ?

En dire trop gâcherait le plaisir de la découverte. Vernor Vinge introduit des concepts complexes autour de la singularité informatique en distillant progressivement les informations nécessaires à la compréhension du lecteur. Ce n’est jamais difficile d’accès et la novella gagne en densité au fil de la narration. En creux aussi, l’auteur nous offre un instantané des oubliés du rêve numérique américain, victimes sacrificielles à bas coût immolées sur l’autel d’un capitalisme sans scrupules. Et toujours avec une point d’humour et des clins d’oeil ou références, comme en témoigne ce dialogue :

Les deux Ellen se mirent à rire. L’une dit : « Oh ! c’est de la science-fiction, et pas seulement le dernier épisode de Kywrack. L’idée a presque un siècle d’existence.
— “Dieu microcosmique”, de Théodore Sturgeon ! ajouta l’autre.
— Ça, ce serait génial ; Gerry, prends garde ! Et il y a aussi “Le Tunnel sous l’univers”, de Frederik Pohl.
— Brr ! Si c’est ça le scénario, on est foutus.
— Et que dirais-tu de “Trou de mémoire”, de John Varley ?
— Ou de Darwinia, de Robert Charles Wilson ?
— Ou “Pigs in the Cyberspace”, de Hans Moravec ?
— Ou encore Simulacron 3, de Daniel F. Galouye ?
— Ou les cubes de mort de Vernor Vinge ? »
À présent que les « jumelles » n’étaient plus synchrones, leur dialogue allait en s’accélérant, pour s’achever triomphalement par :
« “Les Pierres de pondération” de David Brin !
— Ou Le Peuple d’argile !
— Non, ça ne peut pas être ça. » Elles cessèrent soudain leur ping-pong verbal et échangèrent un signe de tête. Dixie Mae les trouva un rien sombres. Tout compte fait, leur conversation était aussi incompréhensible que les bribes de dialogue qui l’avaient précédée.

Bonne pioche, encore une fois avec ce titre paru dans la collection Une Heure-Lumière des éditions du Bélial.

Cet article a 6 commentaires

  1. Vert

    Bien aimé aussi celui-là, le concept exploité est quand même fort bien trouvé (et maîtrisé) !

    1. Lhisbei

      Oui, on sent bien la maîtrise du sujet et de la narration, je reste admirative.

  2. Valeriane

    Tentant ton avis!
    Je l’avais déjà vu passer, mais je vais le noter.

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