Bonheur™ – Jean Baret

Bonheur™
Trademark T1

De Jean Baret

Le Bélial – 340 pages

Même routine tous les matins pour Toshiba : petit déjeuner, consommation obligatoire, fellation par son épouse – robot de son état – et direction le boulot. Toshiba, flic à la section des « Crimes à la consommation », est chargé de pister les contrevenants aux lois sur la consommation – ceux qui par idéologie s’oppose à la réalisation de leurs devoirs quotidiens. Car si tous les citoyens ont des droits absolus (droits de jouir de son corps de la manière désirée ce qui inclut aussi le transhumanisme, droit au Bonheur™ par tous moyens naturels comme artificiels), ils ont aussi un devoir civique : consommer. Toujours. Toujours plus. D’ailleurs leurs assistants personnels, véritables intelligences artificielles, ne se privent pas de leur rappeler tout comme les hologrammes publicitaires qui envahissent en permanence le paysage. Consommer c’est la promesse de vivre heureux. Avec son collègue Walmart, Toshiba étudie les dossiers transmis par un algorithme et, parfois, descend sur le terrain pour une intervention. C’est le comportement narquois d’un Netrunner lors d’une enquête sur une anomalie de consommation qui les précipite dans une investigation à plus grande échelle.

La narration, maîtrisée, joue sur les répétitions hypnotiques et la profusion de marques qui efface les identités individuelles alors même que les individualités sont encouragées. Se démarquer, se modifier en permanence, c’est bon pour la consommation.  Le roman donne parfois l’impression de tourner en boucle comme un disque rayé, mais c’est un reflet de la vacuité de notre société. Jean Baret nous tend un miroir à peine déformant et nous oblige à nous poser quelques questions. Et, comme toute dystopie qui touche juste, Bonheur™ se révèle totalement déprimant, tout comme l’humanité sait être déprimante. Deux bémols cependant à cette lecture. L’intrigue ne semble vraiment être qu’un prétexte et s’oublie aussitôt le livre refermé. Et la postface m’a fait rire, ce qui n’est certainement pas l’effet voulu.

Bonheur™ est le premier volet de la trilogie Trademark dont chaque tome peut se lire indépendamment. Vie™ sort en septembre 2019 et Mort™ je ne sais quand. Consommer ou pas, telle est la question…

Un extrait (toute ressemblance avec les discours managériaux de coaching individuel doit être purement fortuite…) :

– Je te l’ai déjà dit : pour moi, tu es un U-Man. Tu touches à tout, sans préférence, et très modérément. Tu n’appartiens pas vraiment à une catégorie déterminée : ni cyborg, ni transhumain, ni surhumain, ni furry, ni mutant, ni métamorphe… Alors oui, tu vis avec un robot, tu as fait de la chirurgie esthétique et tu prends des médocs, mais c’est faible. Il te manque une identité, baka !
– Qu’est-ce que tu racontes ? »
Henri IV meurt poignardé en pleine rue de la Ferronnerie, à Paris, en 1610, et Walmart dit :
« Il faut que tu aies des aspirations. Il faut que tu te définisses plus précisément que ça. Les U-Men sont soit des adolescents qui se cherchent, soit des perturbés. Tôt ou tard, il faut que tu aies une identité ! Ce n’est pas difficile : suis tes pulsions, bon sang ! Force la réalité à accepter ton moi profond ! Révèle-toi !
– Oh, mais ça va, hein ! Je ne me plains pas ! Tu exagères. Je ne suis pas si malheureux que ça. Je me pose des questions, c’est tout.
– Ouais, ben méfie-toi des questions. Tu ferais mieux de te lâcher un peu et de suivre une voie, c’est tout ce que je dis. Prends une religion et recrée-toi. Remodèle-toi. C’est ton droit le plus absolu. Transforme-toi, transcende-toi, mais fais quelque chose. Tiens, même être un pur serait mieux que ton état actuel, parce qu’au moins, c’est un choix ! Change-toi. Tu seras bien plus heureux. »

Summer Short Stories of SFFF

Cet article a 18 commentaires

  1. f6k

    J’ai lu (ou entendu, je ne sais plus) l’auteur parler de sa façon d’écrire ; si je me souviens bien c’est un peu au fil de l’eau, sans vraiement de plans, même si guidé par une idée directrice. Il expliquait aussi qu’il n’hésitait pas à intégrer des éléments « du moment » (c’est-à-dire au moment même où il écrit) dans le passage qu’il est en train de rédiger. J’avoue que la description de sa méthodologie d’écriture m’a un peu fait peur. J’imagine que cela doit transparaître à la lecture, non ?

    N’empêche, j’ai lu sur différents blogs de nombreux bons retours. Merci beaucoup pour ta chronique Lhisbei ! Tu m’as convaincu de lui donner sa chance !

    1. Lhisbei

      Et bien en fait, non, ça ne transparaît pas : en tout cas, je ne l’ai pas ressenti. C’est très actuel. le roman parle des « défauts » de notre société, ici et maintenant, sous couvert d’une anticipation.

      1. f6k

        Ça marche, merci pour la précision Lhisbei ; ça me rassure.

  2. Zina

    J’ai essayé, mais c’était beaucoup trop violent pour moi. J’ai abandonné après la scène dans le bar.

    1. Lhisbei

      Le bar avec les hologirls ? ou Le Murder Room qui diffuse des reconstitutions de meurtres et d’assassinats… ?

      1. Zina

        Euh… celle où ils font venir des SDF pour le plaisir de leur taper dessus.

  3. Baroona

    J’attends une réédition qui aura pour sous-titre : « Vous reprendrez bien une dose de déprime ? »

    1. Lhisbei

      M’est avis que la suite sas être la suite, Vie, devrait t’apporter ta dose 😉

  4. shaya

    En wish-list. Je me prépare psychologiquement à la dépression.

  5. TmbM

    Je suis d’accord avec toi pour l’intrigue, elle est assez anecdotique. Mais le roman reste très enthousiasmant et sa narration est totalement addictive. Je compte bien consommer le tome deux dès qu’il arrive.

    1. Lhisbei

      Eh bien, c’est pour le 19 septembre 2019 soit presque demain 😉

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