Le Temps du rêve – Norman Spinrad

Le Temps du rêve

De Norman Spinrad

Fayard – 224 pages

Voici le DREAMMASTER 301, splendide objet technologique qui vous permet de programmer vos rêves. Facile d’utilisation, ouvert à tous même aux enfants (prenez garde à l’étiquetage des rêves, et offrez à vos enfants ceux qui leur sont réservés). Pour quelques dollars, vivez la vie dont vous avez toujours rêvé : une histoire parallèle scénarisée, inspirée de la mythologie, de l’histoire ou du cinéma.
Qui dit machine à rêver dit aussi offre légale de rêve, téléchargeable à foison, et, en conséquence, monopole de vente. Mais comme la nature humaine a horreur du vide, voici que des sites pirates en viennent à proposer des rêves. Tous types de rêves, y compris des rêves moins policés, moins bien pensants, des rêves libres en somme. Mais sans garantie, sans protection et sans contrôle d’une autorité quelconque. Et ce qui doit arriver finit par arriver : certains rêves, vérolés, se transforment en cauchemar. Dans le monde des songes, le chemin de la liberté n’est-il qu’un rêve de plus ?

Norman Spinrad nous plonge dans les rêves d’un dormeur anonyme par le biais d’une succession de songes qu’il nous décrit en nous tutoyant en permanence. Du dormeur nous ne saurons rien. Si ce n’est que ses rêves vont devenir de plus en plus fous, de plus en plus violents, de moins en moins sous contrôle. Pourtant, peu à peu, le dormeur, sans se réveiller, va apprendre, réapprendre à faire preuve de volonté. De dormeur passif il en viendra à reprendre le contrôle, à changer son rêve de l’intérieur même de celui-ci. Un dormeur actif, un dormeur éveillé en quelque sorte.
Sur le plan formel, indéniablement, c’est un tour de force. Malgré un aspect décousu, le récit possède une cohérence solide. De méandres en lacis, l’auteur ne perd jamais sa trame et nous mène là où il veut. Par moment, j’ai pensé au magicien d’Oz et son chemin pavé de briques jaunes et, dans un style littéraire pourtant bien différent, au parcours initiatique de L’enfant de la fortune du même auteur.  Sur le fond, j’attends encore ce que le texte de quatrième de couverture promet : « Le Temps du Rêve nous alerte sur les pièges de l’uniformisation et les dangers d’un monde où tout est sous contrôle, même les subconscients ». Parce que le mode de narration choisi par Norman Spinrad limite la profondeur de la réflexion. Pas de vertige ici, ni de vision sur le long terme, ou à grande échelle. Uniquement le prise de conscience individuelle du dormeur. C’est déjà beaucoup me direz-vous. Sauf que j’en attendais plus, j’avais espéré voir évoquées les conséquences sociétales d’une vie sous contrôle total. Or elles ne sont qu’esquissées par le prisme onirique. Ce qui a généré une frustration chez moi.

Le Temps du rêve est donc, pour moi, un court roman à lire pour la prouesse du style, la narration époustouflante et la traduction à la hauteur. Néanmoins les fans de SF devront chercher ailleurs le vertige dont ils ont besoin.

Un extrait pour vous donner une idée :
« Bienvenue à Shang Man Du !
Sans savoir comment, tu as débarqué du train et tu te tiens sur un balcon bordant une gare de chemin de fer, au sommet d’une colline un peu moins haute qu’une montagne, plantée au centre de la ville, et tu contemples Shang Man Du. Laquelle, de ton point de vue, est bien différente de ce qu’elle semblait être, à l’exception de la lumière bleu clair. Mais, ici, la lumière ne brille pas de l’intérieur des tours de cristal. Ici, elle es du parfait bleu chatoyant du ciel au-dessus d’une île tropicale, une heure environ avant que le coucher du soleil n’embrase la ville.
Shang Man Du est une cité insulaire entourée d’une plage : un fabuleux rivage de promenades et d’esplanades, Coney Island au temps de sa splendeur et un été sans fin sur la Côte d’Azur, une marina de maisons sur l’eau comme à Sausalito ou en Chine, version classique rénovée en teck et pavillons rouges à baldaquin. Des maisons de bord de mer, des hôtels du Deco Quarter de Miami, des cafés pour le tout-show-biz de Deauville.
Des surfers chevauchent des rouleaux chargés d’écume, les moins athlétiques profitant de bassins plus calmes, et l’eau semble s’estomper à un kilomètre environ en une substance bleue qui n’est ni eau, ni ciel, ni lumière mais le mélange des trois, unité dépourvue de contours, infinie.
Au nord, à l’est et au sud, Shang Man Du s’éloigne nonchalamment de la plage, s’élève en une cavalcade de maisons d’architectes magnifiques, dignes des lointaines contrées du National Geographic et d’Architectural Digest, de rues sinueuses, de cafés et de salons de thé en terrasse, au cœur d’une profusion de jardins botaniques aux essences du monde entier. Il en monte un joyeux bourdonnement collectif rappelant le son de pans filtré par des didgeridoos. C’est magnifique, c’est exquis, c’est un été éternel.

Cet article a 7 commentaires

  1. Cachou

    Il ne me tente plus. Les critiques négatives se font de plus en plus nombreuses, un chroniqueur SFFF que j’aime bien a même arrêté de le lire (alors qu’il est beaucoup moins difficile que moi ;-p). Je passe définitivement, “Oussama” m’avait déjà bien refroidie et si c’est juste une question de style, ça ne m’intéresse pas, j’en veux plus ^_^.

  2. Lhisbei

    @Cachou : c’est assez déroutant de se retrouver pongé dans les rêves d’un inconnu mais ça se lit vite et facilement pour le peu qu’on se laisse porter sans chercher à voir, comprendre tout et tout de suite. Par contre je pense qu’il n’aurait pas sa place dans une collection de SF parce que trop intériorisé et pas assez propice à la réflexion à une autre échelle qu’individuelle.

  3. Lorhkan

    Tu m’as linké donc tu connais mon avis.
    Oui la forme est un vrai tour de force, mais elle m’a aussi complètement largué, et le fond, trop léger, n’a rien rattrapé…
    Bref, (gros) efforts pour aller au bout, et (grosse) déception…
    Je te linke back !

  4. Nick_Holmes

    “un court roman à lire” euh 224 pages ce n’est pas super court quand même. :p
    On verra s’il sort en poche.

  5. lael

    *presque un an plus tard * je viens de faire l’acquisition du bouquin, attirée par le pitch, et ne me souvenant pas du tout de ce qu’on avait pu en dire. Bon ben j’espère que ça me plaira quand même ^^ J’en profite pour faire un ptit coucou, je délaisse bien trop la bloggo en ce moment “-_-

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.