Vostok – Laurent Kloetzer

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De Laurent Kloetzer

Denoël Lunes d’encre – 432 pages

Vostok. Un lieu au bout du monde, si tant est qu’on puisse considérer que le monde est fini. Situé sur le continent Antarctique, le site est probablement l’un des plus inhospitaliers sur Terre : des températures qui ne dépasse pas – 20 °C en été (moyenne des températures autour de -40° et record de température la plus basse : – 89,3 C°, rien que ça !), du vent, un air sec et pauvre en oxygène à cause de l’altitude (3500 m au dessus du niveau de la mer) et un hiver polaire de 6 mois pendant lequel le soleil ne se lève pas. Un endroit tout à fait adapté pour accueillir la vie humaine et encore plus une base scientifique… C’est pourtant là que l’URSS a choisi (par défaut et par défi) d’installer une station en 1957 à l’occasion de  l’année géophysique internationale, un évènement collaboratif à l’échelle mondiale, qui permit, en pleine guerre froide, des collaborations scientifiques entre chercheurs de tous pays et joua le rôle d’accélérateur pour des découvertes majeures notamment dans le domaine de la conquête spatiale. En Antarctique, beaucoup de nations installèrent des stations scientifiques : Halley pour le Royaume-Uni, Amundsen-Scott pour les États-Unis, Showa pour le Japon et Vostok pour l’URSS. Les Français avaient déjà une base. Vostok, malgré son isolement – en hiver, la base n’est pas accessible et ses habitants ne peuvent que compter sur eux-mêmes, sur leurs réserves et et leurs capacités à résoudre seuls problèmes divers et variés au nombre desquels les pannes (de générateur, de chauffage ou autre) restent les plus dangereuses – et ses conditions climatiques difficiles, a accueilli des chercheurs sans discontinuer entre 1957 et 1994. Les carottages effectués ont permis d’étudier le climat sur plus de 400 000 ans. Après une fermeture temporaire (l’URSS s’écroule, plus de financements…), la station a ensuite accueilli des équipes russes, américaines et françaises. En 1996, un immense lac d’eau douce est découvert sous la glace, à 4 000 mètres de profondeur. C’est l’effervescence : l’eau du lac est peut-être isolée de tout contact avec l’extérieur depuis des centaines de milliers d’années. Qui sait quelles formes de vie pourraient s’y trouver.

C’est donc à Vostok, vingt ans après la fermeture de la station, que Laurent Kloetzer décide d’envoyer une flopée de personnages qui n’ont, a priori, aucune raison de s’y rendre : Leo, diminutif de Leonora, une adolescente chilienne, entraînée par son grand frère Juan, un jeune et charismatique caïd du Cartel de Valparaiso, Oscar et Jazmín ses gardes du corps et Irvin son second. Juan a merdé et tente de se racheter en récupérant la clé pour pénétrer le réseau informatique des Andins, organisation mafieuse concurrente. Cette clé c’est dans le lac de Vostok qu’elle se trouve, découverte et (dé)codée par Veronika Lipenkova, première femme scientifique russe à vivre à Vostok, marquant la base de son empreinte. Pour trouver cette clé, Juan embarque Vassili, autre scientifique Russe qui attendait désespérément de pouvoir revenir à Vostok.

Dans un premier temps, la narration se centre sur Leo, sa jeunesse insouciante avant d’être rattrapée par la vie du Cartel, puis, une fois à Vostok, alterne entre le journal de Veronika et le récit de la vie de Leo. Le passé et présent, incarnés par deux femmes, Veronika et Leo, se croisent, se font écho pour finalement se fondre. Les secrets, les illusions et les masquent valsent avant de tomber. Il y a dans Vostok, comme souvent avec les textes de Laurent Kloetzer, bien plus de ramifications et de complexité que ce qui est présenté de prime abord. Et si nous replongeons dans l’univers  puzzle d’Anamnèse de Lady Star, Vostok se révèle bien plus accessible et présente l’avantage de pouvoir se lire seul. Mon seul bémol : accepter que la famille de Juan aille affronter le pôle sud pour la clé d’un accès qui aura le temps d’être fermé d’ici le retour de l’expédition. Je n’y ai pas cru. Mais une fois dans le grand désert blanc avec Leo, impossible de faire demi-tour, de refermer le livre. Peu importe le prétexte, Vostok doit se vivre, même par procuration. Vostok doit se lire, avec le cerveau et avec les tripes.

Lisez-le.

Elle n’a plus rien d’une gamine. Depuis l’épisode de l’Aguante et la destruction de la maison, Leo a bien grandi, elle a maintenant quatorze ans, de longues jambes qui lui permettent de courir vite, une veste de cuir noir et un objet lourd et dangereux dans son sac. Mickey l’a laissée un peu trop au nord et elle ne veut pas prendre le bus ou le métro ni utiliser aucun appareil connecté tant qu’elle sera en ville ; Irvin a marqué tous les appareils passés dans la maison, il surveille les cells de l’ensemble des membres de la « famille » avec une aya-assistante capable de détecter les schémas de comportement anormaux. Détester Irvin et son attitude de camé n’empêche pas d’admettre qu’il est doué dans un sacré paquet de domaines, Juan ne le garderait pas comme second si ce n’était pas le cas. Autant se montrer prudente avec l’électronique et les communications et ne pas se faire prendre comme une débutante. Si tout reste éteint, si elle renonce au réseau, elle sera invisible.
Elle marche en suivant la côte, respire à fond l’odeur de la nuit, le vent venu de l’océan lui caresse le visage. Son cœur bat à tout rompre, l’excitation lui donne envie de courir, elle se force à avancer tranquillement, à grands pas, la tête dissimulée sous sa capuche, dévorant du regard tout ce qu’elle peut apercevoir. La ville a changé depuis qu’elle a été dépossédée de sa bande et de ses rues, il va falloir apprendre en quoi, et vite, ne pas faire d’erreur, ne pas se faire avoir.
Elle arrive sur les docks, évite les groupes de types qui fument, bavardent et boivent installés dans les taches de lumière, il ne serait pas très sage de les aborder. Elle passe entre les piles de containers à destination de l’Asie, lit un à un les noms des navires éclairés par les lampes au sodium. Où est le Canto Pasquale ?
Il est minuit quand elle le découvre sur un quai à l’écart ; la fatigue commence à se faire sentir. Le navire n’est pas aussi grand que ceux dont elle se souvenait, mais elle n’a aucun doute. D’autres fantômes rôdent comme elle au pied des grues, attendant que le chargement officiel se termine. Des familles entières avec leurs valises, les enfants endormis sur les sacs des parents, beaucoup d’hommes seuls au regard dur, des paysans de la région des lacs et quelques femmes serrées dans des manteaux informes. Tous cachent sur eux le prix du passage pour le Japon. Ce qu’elle a dans son sac suffira, Juan va regretter de lui avoir donné accès à son bureau.

Cet article a 9 commentaires

  1. Acr0

    Un univers aussi âpre que l’environnement : j’ai trouvé le roman réussi 🙂

  2. Vert

    Un texte très prenant, je regrette juste d’avoir été complètement perdue sur la fin (mais c’est tellement récurrent avec cet auteur que ça me dérange à peine ^^).

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