Nous sommes tous des féministes – Chimamanda Ngozi Adichie

Nous sommes tous des féministes
Suivi de la nouvelle « Les marieuses »

De Chimamanda Ngozi Adichie

Folio – 96 pages. Traduction de Sylvie Schneiter et Mona de Pracontal

En cette journée internationale des droits des femmes, quittons provisoirement le rayon Littérature de l’imaginaire pour les rivages du réel, « ici et maintenant » (même si tout un pan de la littérature de SF ne parle que du présent – extrapolé, fantasmé). Place à Nous sommes tous des féministes  suivi de la nouvelle « Les marieuses » de Chimamanda Ngozi Adichie, autrice nigériane multi-primée pour ses romans L’Hibiscus pourpre, L’Autre Moitié du soleil ou Americanah. Merci à Tigger Lilly d’avoir lu et chroniqué ce titre.

Nous sommes tous des féministes ?

We should all be feminists (Nous devrions tous être féministes, le titre français se montre soit très optimiste quant la situation soit asse pleutre – il ne faudrait pas effrayer le lectorat avec un titre trop militant) est une retranscription étoffée d’une conférence donnée en 2012 à TedXEuston à Londres. Chimamanda Ngozi Adichie y évoque la question de l’égalité des sexes avec lucidité et non sans ironie. L’ironie, un moyen comme un autre de pouvoir vivre non pas « avec », mais « malgré » ces oppressions multiples. Les femmes ont des trillions de bonnes raisons d’être en colère.
Chimamanda Ngozi Adichie fait le constat d’une inégalité flagrante entre hommes et femmes sur tous les plans : social, culturel, économique, politique et de manière universelle. Elle montre le poids des stéréotypes de genre et la pression sociale et sociétale qu’ils induisent. Elle pointe que certaines femmes intelligentes et indépendantes ont tellement intégré les stéréotypes (être douce, calme et gentille pour trouver un mari) qu’elles se rabaissent volontairement. Que l’éducation des filles, mais aussi des garçons, est primordiale pour changer le monde. On apprend aux petites filles à s’effacer, ne pas s’affirmer et à laisser les initiatives aux garçons pour protéger ce qui fragilise ces derniers. Résultat : une fille qui s’affirme devient donc très vite une menace (et là je vous laisse chercher les discours des masculinistes blancs américains dits décomplexés pour vous faire une idée). On apprend aussi aux petits garçons à « être forts », à ne pas pleurer ce qui constitue une violence psychologique traumatique.

Partout dans le monde, la question du genre est cruciale. Alors j’aimerais aujourd’hui que nous nous mettions à rêver à un monde différent et à le préparer. Un monde plus équitable. Un monde où les hommes et les femmes seront plus heureux et plus honnêtes envers eux-mêmes. Et voici le point de départ : nous devons élever nos filles autrement. Nous devons élever nos fils autrement.

Bien sûr elle illustre ses propos d’exemple tirés de sa propre expérience. Elle est Nigériane (Igbo plus précisément), a été élevée dans une famille d’universitaires, a eu accès à des études supérieures et vit aux États-Unis. Pour autant, ce qu’elle dit ne s’applique pas seulement aux Nigérians. La magie du sexisme fait que partout dans le monde, les femmes vivent des oppressions, similaires ou différentes, qui sont la résultante des mêmes mécanismes. Partout dans le monde, des femmes sont victimes de mariages forcés, se tapent une seconde journée de travail à la maison pendant que les maris se reposent. Partout dans le monde, la carrière ses femmes se crashent violemment contre le plafond de verre. Partout dans le monde, des femmes, parce qu’elles sont femmes, subissent des agressions physiques ou des mutilations. Et partout dans le monde des hommes, enfermés dans une masculinité toxique, violentent ou silencient des femmes. Et pire, après une période de progrès en ce qui concerne les droits des femmes, l’ONU constate que la violence contre les femmes est la violation des droits humains qui se répand le plus : recul des droits des femmes, niveaux alarmants de féminicides, attaques contre les défenseurs des droits des femmes, et persistance de lois et de politiques qui perpétuent la soumission et l’exclusion.

Sur le féminisme

« Certains me demandent : « Pourquoi employer le mot féministe ? Pourquoi ne pas vous contenter de dire que vous croyez profondément aux droits de l’homme, ou quelque chose comme ça ? » Parce que ce serait malhonnête. Le féminisme fait à l’évidence partie intégrante des droits de l’homme mais se limiter à cette vague expression des droits des l’homme serait nier le problème particulier du genre. Ce serait une manière d’affirmer que les femmes n’ont pas souffert d’exclusion pendant des siècles. Ce serait mettre en doute le fait que ce problème ne concerne que les femmes. Qu’il ne s’agit pas de la condition humaine mais de la condition féminine. Durant des siècles, on a séparé les êtres humains en deux groupes, dont l’un a subi l’exclusion et l’oppression. La solution à ce problème doit en tenir compte, ce n’est que justice. »

Les marieuses

La nouvelle « Les marieuses » (« The arrangers of marriage ») est issue du recueil Autour de ton cou. C’est le récit d’une jeune fille Chinaza, mariée de force à un homme choisi par son oncle et sa tante. Un homme « bien », un médecin émigré aux États-Unis qui cherchait une femme nigériane qu’il espérait docile, respectueuse et reconnaissante (mais de quoi se demande-t-on finalement ?). Pour s’intégrer, son nouveau mari Ofodile se fait appeler Dave, la rebaptise Agatha, la somme de ne plus parler nigérian et de cuisiner américain (poulet pané et frites, quel bonheur). Chinaza avait espéré que ce mariage qu’elle n’a pas choisi (elle était amoureuse de quelqu’un d’autre, trop pauvre pour qu’il puisse l’épouser) la libèrerai d’une vie de semi-esclave domestique au nigéria. Le rêve américain n’est finalement qu’un mirage. En plus d’illustrer de manière concrète les violences faites aux femmes (mariage arrangé, relations sexuelles forcées, esclavage domestique) la nouvelle pose aussi la question de l’identité, de l’immigration, du prix de l’intégration et de la solitude engendrée par une diaspora.

L’hiver m’a prise par surprise. Un matin, je suis sortie de l’immeuble et j’en suis restée bouche bée. On aurait dit que Dieu déchiquetait des mouchoirs en papier blanc et jetait les confettis d’en haut.

Avec Nous sommes tous des féministes Chimamanda Ngozi Adichie appelle au changement. En conclusion, lisez ce petit livre, offrez-le et, pour les plus jeunes, offrez cette adaptation en album.

 

 

Cet article a 11 commentaires

  1. Tigger Lilly

    Ha tiens je ne savais pas qu’il existait une adaptation en album jeunesse.
    Un texte assez puissant et déculpabilisant. Contente que tu l’ais lu.

  2. Alys

    Bon. Il faut que je le lise. Je l’avais déjà noté chez Tigger Lilly (même si je constate avec horreur que j’ai commenté « intéressant, intéressant », le truc d’une platitude inimaginable pour ce genre d’ouvrage…). Quand le lire, c’est une autre question, d’autant que je me reconnais tellement dans ce que tu décris que je n’ai pas *du tout* envie de le lire, en fait, mais remuer la boue est un bon moyen de commencer à s’en débarasser.

    1. Lhisbei

      Lis le 🙂 Chimamanda Ngozi Adichie est optimiste. Elle pense que le monde peut changer et que nous pouvons inverser la tendance par l’éducation. Du coup la lecture n’est pas démoralisante du tout …

  3. shaya

    Un super texte. Je ne savais pas non plus qu’il existait en album, je vais pouvoir l’offrir à mes neveux et nièces !

    1. Lhisbei

      Voilà, bon pour maintenant avec le confinement, faudra peut-être attendre Noël !

  4. Elhyandra

    Il faudra que je le lise aussi il m’intéresse beaucoup

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