De Chi Ta-wei
L’Asiathèque, 216 pages. Traductions d’Olivier Bialais, Gwennaël Gaffric, Coraline Jortay et Pierrick Rivet
Perles comprend les traduction de cinq nouvelles déjà publiées à Taiwan : « L’après-midi d’un faune », « La guerre est finie », « Eclipse », « Au fond de son œil, au creux de ta paume, une rose rouge va bientôt s’ouvrir », « La comédie de la sirène », ainsi que celle d’un texte inédit écrit spécialement pour ce recueil traduit en français, « Perles ». Vingt-cinq ans séparent « Perles » des autres textes, publiés en 1995 ou 1996 alors même que Chi Ta-wei n’avait pas 25 ans. Ces textes sont à la fois expérimentaux dans leur écriture, radicaux et puissants dans le traitement des thématiques abordées. Les nouvelles relèvent de la science-fiction (on y trouve des extra-terrestre, des androïdes) ou du fantastique et chacune d’entre elles est suivie d’une postface de l’auteur. Toutes ont en commun d’évoquer la transformation des corps, des genres et des sexualités mais aussi la parentalité et les relations familiales souvent dysfonctionnelles avec des jeux de miroirs et une réflexion sur l’altérité. Les normes y sont bousculées, déformées, renversées, inversées souvent et les transgressions des interdits d’autant plus intenses. Chi Ta-wei est aussi titulaire d’un doctorat de littérature comparée obtenu à l’Université de Californie à Los Angeles. Dans ses textes, il se réapproprie certains canons des littératures occidentales. De multiples références émaillent les nouvelles que ce soit cinématographiques (Alain Resnais, Atonioni…), musicales (Debussy…) ou littéraires (Kafka, Oscar Wilde, T.S. Eliot, Poe…). Autre spécificité, dans le recueil en VO, les titres en français « La guerre est finie » et « L’après-midi d’un faune » figurent à côté des titres en chinois.
Sur les nouvelles
Dans « L’Après-midi d’un faune » on se rapproche d’Edgar Allan Poe avec un narrateur au bord de la folie et du meurtre. Tandis que « La Comédie de la sirène » est une réécriture moderne et sans concession de La petite Sirène d’Andersen.
« La Guerre est finie » met en scène une androïde domestique, créée sur mesure pour jouer à l’épouse parfaite d’un soldat stationné sur une base spatiale lointaine. Elle cherche à s’émanciper et trouvera son bonheur avec Lola. Dans « Éclipse » mangeurs d’insectes et insectes mangeurs se côtoient de bien étrange façon sur le toit d’une tour perdue dans un futur où le climat s’est très fortement dégradé.
Chi Ta-wei choisit une une narration à la deuxième personne du singulier pour « Au fond de son œil, au creux de ta paume, une rose rouge va bientôt s’ouvrir ». S’ajoute le personnage d’un enquêteur chargé d’une mission autour d’une drogue, le miroir noir qui part complètement à la dérive dans un monde où les multinationales surpuissantes se vouent une guerre totale.
Terminons par « Perles », nouvelle post-apocalyptique qui ouvre le recueil. Le premier contact avec les extra-terrestre a presque eu lieu. Trois vaisseaux ont orbité un temps autour de la Terre analysant les cauchemars des enfants. Les visiteurs ont trouvé la source : les parents mais aussi les éducateurs, baby-sitters et autres figures d’autorité. Conséquence : ces derniers ont disparu donnant naissance à un nouveau monde, beaucoup moins peuplé (la nature apprécie) dans lequel il n’y a plus de famille, plus de père, ni de mère et où les gens ont peur de nouer des relations dans la crainte du retour des extra-terrestres. En parallèle, l’humanité, capable de s’hybrider, doit aussi se réinventer. Une nouvelle protéiforme et singulière.
Entre science-fiction occidentale et culture taïwanaise, la capacité de Chi Ta-wei à nous pousser dans l’étrangeté la plus complète bouscule, fait réfléchir, émeut. Impressionnant et déroutant tant sur le fond que sur la forme.
Une citation
C’est un baiser de guerre qui m’a donné la vie. En 2020, un après-midi de printemps, quelqu’un m’a mise en service, en posant ses lèvres sur les miennes.
- De Chi Ta-wei sur le RSF Blog : Membrane
- Lire les avis de Just a Word, Nevertwhere, De l’autre côté des livres, Les Chroniques du Chroniqueur.
Le côté « étrange » qui revient dans chaque chronique me fait hésiter à lire ce recueil. Je vais encore réfléchir.
Celui-ci je ne te conseillerai pas. Je ne pense pas qu’il te convienne (parce que c’est complètement barré en fait et que tu risques de chercher une forme de cohérence interne que tu ne vas pas trouver)
Il est dans ma wish-list celui-ci, il me fait bien envie !
Il pourrait te plaire 🙂
C’est effectivement très déroutant comme recueil. Je suis contente de l’avoir découvert, ça change un peu de ce qu’on peut lire d’habitude.
ça change complètement de ce qu’on lit habituellement. Chi Ta-wei va loin 🙂
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