De Lisa Tuttle
Dystopia Workshop – 220 pages
Illustration : Stéphane Perger
Ce recueil de nouvelles de Lisa Tuttle, préparé et préfacé par Mélanie Fazi, contient cinq nouvelles (dont une beaucoup plus longue que les autres) et un entretien avec l’auteur. Lisa Tuttle n’est pas très connue en France. Mais c’est, pour Mélanie Fazi, un auteur important dans son parcours d’écrivain, comme elle l’explique au tout début de la préface (préface qui raconte la genèse de l’ouvrage) : « Certaines rencontres vous marquent en profondeur – avec des livres comme avec des gens. J’ai beau savoir de quelle manière le temps et la nostalgie déforment les souvenirs, je garde au moins une certitude : si je n’avais pas découvert les textes de Lisa Tuttle à l’adolescence, je n’aurais pas suivi le même chemin d’écriture. Ni choisi à dix-sept ans la voie de la nouvelle fantastique, car c’est à Lisa plus qu’à tout autre que je dois mon amour de ce format. ».
La première nouvelle, Rêves captifs, donne le ton : cauchemardesque jusqu’à sa terrible fin, parfaite dans sa construction et dans la montée de l’intensité dramatique, elle coupe le souffle. La narration à la première personne et la proximité qu’elle induit avec l’héroïne décuple les sensations du lecteur et donne froid dans le dos.
L’Heure en plus met en scène une mère de famille qui cherche à grappiller à son emploi du temps une heure de plus pour écrire. Un jour, au son d’une horloge, une porte s’ouvre sur une mystérieuse pièce où le temps s’écoule différemment. Le piège est plus classique mais fonctionne à merveille.
Le Remède sort du terrain fantastique pour jouer avec une thématique de SF. Un vaccin miracle a permis de guérir l’humanité de nombreuses maladies mais un effet secondaire indésirable est en train de créer une génération silencieuse, une génération pour qui les mots sont étrangers. L’héroïne, ici, aussi est écrivain et ne peut se résoudre à perdre celle qu’elle aime. Plus qu’une simple histoire d’amour, c’est aussi une réflexion sur ce qui fait notre humanité et sur la place du langage et des mots dans la construction de notre identité.
Voici le début de cette nouvelle
« C’est dans cette pièce, jour après jour, que je transforme ma vie en langage. Les murs sont tapissés de livres rédigés par d’autres, et mes écrits s’accumulent autour de moi sur le bureau : articles incomplets, lettres inachevées, squelette décharné d’un roman, autant de débuts sans fins. La machine à écrire bourdonne tandis que j’associe les mots pour en tester l’effet puis les empile en une tour instable de phrases, de paragraphes, de pages. L’atmosphère de la pièce est lourde, imprégnée de ces mots. »
J’ai du arrêter deux pages avant la fin de Ma pathologie, tant la montée en puissance de l’horreur m’était insoutenable. Voici un exemple d’évolution psychologique d’un personnage qui retourne le lecteur. Les monstres intérieurs peuvent prendre bien des formes. Puis la fin, surprenante, est arrivée et m’a un peu déçue car elle occultait le devenir d’un personnage, secondaire certes (et dont on devine aisément l’avenir), mais surtout c’est comme s’il manquait une touche finale à l’atrocité pour entériner définitivement la transformation.
Mezzo-Tinto plus classique dans son thème (un tableau vivant) nous ramène dans un fantastique plus habituel, moins puissant, mais toujours aussi glaçant.
Toutes ces nouvelles ont, pour narrateur, un personnage principal féminin. La Fiancée du dragon fait exception à cette règle. Plus longue, elle permet la mise en scène d’un couple nouvellement formé et une narration extérieure. Isobel tente de fuir son passé, surtout un épisode de vacances en Angleterre l’été de ses 12 ans qu’elle a totalement occulté. Partie avec son père, revenue sans, elle se croit fiancée à un dragon. Lorsque sa tante anglaise la rappelle elle s’imagine qu’elle va être livrée à ce dragon. Enfuie à New York elle se trouve un chevalier pour la défendre. Mais n’est pas princesse qui veut…
Avec Lisa Tuttle les monstres sont souvent intérieurs. Les mots et l’écriture tiennent une place importante dans la plupart de ses nouvelles, y compris dans La Fiancée du dragon où un carnet noir recueille les états d’âme d’Isobel. L’interview de Lisa Tuttle par Mélanie Fazi permet de mieux connaître l’auteur et éclaire les nouvelles sous un jour nouveau.
Une belle découverte pour moi. Un grand merci à Mélanie Fazi pour avoir choisi de partager son amour pour Lisa Tuttle avec les lecteurs. Bravo aux Editions Dystopia pour avoir donné carte blanche à Mélanie Fazi et pour ce magnifique recueil qui est aussi un bien bel objet.
Pour terminer je ne résiste pas à l’envie de vous dérouler la couverture en son entier, image trouvée sur le blog de Stéphane Perger.
(Clic clic pour ouvrir l’image en grand)
- Les avis de Brize, Lune, Anudar, Gromovar, Xapur, Boudicca, Acr0, Vert, Tigger Lilly, Baroona, Célindanaé, MarieJuliet, Cédric Jeanneret.
Oula que tu es rapide.
Tu m’excuseras de ne pas avoir lu ta cro au-delà de la seconde nouvelle car je ne veux pas déflorer celles que je n’ai pas encore abordées.
Sur les deux premières, nous avons le même ressenti.
Nouvelles bientôt.
@ Gromovar : je te pardonne et j’attends avec impatience ta chronique Gromovar
Idem. J’en suis à la troisième nouvelle. [Cheese]
Ca fait envie ce petit recueil, faudra que je mette la main dessus à l’occas ^^
Dès que j’en aurai terminé avec mes Rêves de Gloire, je me plongerai dans ce recueil, tu m’as convaincu.
Pas encore lu, mais d’emblée, je trouve la couverture magnifique !
la couverture est une oeuvre d’art onirique !
C’est vrai que la couverture est magnifique, je vais peut-être me laisser tenter tiens (et j’en profiterai éventuellement pour jeter un oeil à ce qu’il y a à l’intérieur dans ce cas).
Une belle découverte pour moi aussi La première nouvelle m’a glacée d’emblée, elle est vraiment abominable, j’ai beaucoup aimé La fiancée du dragon aussi. En tout cas Lisa Tuttle manie l’horreur avec brio, on y croit à fond !
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