De Kate Atkinson
Grasset – 528 pages
Parfois les quatrièmes de couverture ne mentent pas.
11 février 1910 : Ursula Todd naît – et meurt aussitôt.
11 février 1910 : Ursula Todd naît – et meurt, quelques minutes plus tard, le cordon ombilical enroulé autour du cou.
11 février 1910 : Ursula Todd naît – le cordon ombilical menace de l’étouffer, mais cette fois le médecin est là pour le couper, et Ursula survit…
Ursula naîtra et mourra de nombreuses fois encore – à cinq ans, noyée ; à douze ans dans un accident domestique ; ou encore à vingt ans, dans un café de Munich, juste après avoir tiré sur Adolf Hitler et changé ainsi, peut-être, la face du monde…
Si l’on avait la possibilité de changer le cours de l’histoire, souhaiterions-nous vraiment le faire ?
Parfois les quatrièmes de couverture ne mentent pas. Mais elles ne suffisent pourtant pas à saisir l’essence du texte qu’elles accompagnent. Ursula Todd vit et revit sa vie, coincée dans une boucle temporelle et avec, à chaque renaissance, de vagues souvenirs de ses existences passées. Rien de précis, un vague sentiment de déjà-vu ou de menace, doublé d’une angoisse incontrôlable, qui la poussent à agir différemment. Voilà ce que promet la quatrième de couverture. Si le roman nous offre bien tout cela, il propose bien plus. Kate Atkinson (que je n’avais plus lue depuis son premier roman publié, Dans les coulisses du musée) nous offre en effet un « roman anglais » dans la plus belle tradition du genre, où la bucolique campagne anglaise cède la place à la tentaculaire Londres : une fresque familiale (avec ses joies, ses aigreurs, ses accrocs), historique (le roman couvre deux guerres mondiales), sociétale (en conséquence de ce qui précède), à l’échelle européenne – Ursula, dans l’une de ses incarnations, part vivre en Allemagne dans les années 30, y fonde une famille et y vit la seconde guerre mondiale, après l’avoir vécue plus d’une fois à Londres dans ses précédentes. Ce qui lui vaut aussi d’assassiner Hitler, même si Kate Aksinson décide de ne pas suivre la piste de l’Histoire alternative, préférant se concentrer sur le (bref) devenir d’Ursula (quand vous assassinez Hitler, sa garde rapprochée ne vous laisse pas la possibilité de lui survivre longtemps).
Sur la forme aussi, nous restons dans la tradition des écrivains anglais : les références culturelles et les citations foisonnent, mais cette érudition n’est jamais ostentatoire. La psychologie des personnages, qu’on devine finement travaillée, leur donne chair. Leurs réflexions, leurs évolutions donnent matière à réfléchir au (non) sens de notre (trop brève) vie. Kate Atkinson dessine de beaux portraits de femmes, mères, sœurs, amies, révoltées, soumises, secouées par le cours l’histoire mais n’oublie pas pour autant les hommes, pères, frères, amants (et même un psy -bouddhiste – on ne peut plus fréquentable). Le bien et le mal étant présent en chacun de nous, Kate Atkinson n’oublie pas d’explorer les facettes les moins reluisantes de ses personnages et les souffrances qu’ils provoquent. La plume, délicate (et, pour ce que je peux en juger, élégamment traduite) ajuste le ton en permanence, y compris pour les passages évoquant la noirceur de l’âme, le Blitz ou la folie collective qui régna en Allemagne dans les années 30. Pas de pathos, non, une touche de mélancolie et d’amertume pour corser ce roman anglais.
Après avoir quitté l’école à dix-huit ans, Ursula n’était pas allée à Paris ni, comme l’y exhortaient certains de ses professeurs, à Oxford ou Cambridge afin d’y faire une licence de langues, mortes ou vivantes. En fait, elle s’était contentée d’aller à High Wycombe dans une petite école de secrétariat. Elle avait hâte de faire son chemin et d’être indépendante plutôt que cloîtrée dans une autre institution. « Le char ailé du temps et caetera qui s’ensuit, dit-elle à ses parents.
– Nous faisons tous notre chemin, d’une façon ou d’une autre, observa Sylvie. Et nous finissons tous au même endroit. La façon dont nous y arrivons importe peu, selon moi.
Pour Ursula, la façon d’y arriver paraissait être la grande question, mais il ne servait à rien d’argumenter avec Sylvie les jours où elle avait sombré dans la mélancolie.
Une dernière citation pour illustrer le fait qu’Ursula, à elle seule et par ses innombrables recommencements, incarne aussi l’évolution de la condition féminine :
– Est-ce ce que serait une condition si déplorable ? D’être célibataire? dit Ursula en s’attaquant à son gâteau à la crème. Jane Austen s’en est contentée.
Avec Une vie après l’autre, Kate Atkinson nous plonge dans une série d’uchronies personnelles qui raviront tous les amateurs du genre. Les autres y trouveront aussi leur compte à condition de ne pas se lasser du procédé (la vie est un éternel recommencement, sachez-le). Et si vous avez aimé Replay de Ken Grimwood et Les vies parallèles de Greta Wells d’Andrew Sean Greer, jetez-vous sans attendre sur ce roman.
- Une vie après l’autre a reçu le prix Costa (ex Whitbread) en 2013 (pour mémoire, Dans les coulisses du musée avait aussi reçu ce prix)
- Lire les avis de Cuné, Brize, Sia…
Arfff je sens que je vais ceder …
Merci pour ta chronique 😉 même si elle me ruine
Attends encore un peu. Il passera forcément au format poche. Il est sorti en janvier 2015. Je parie sur une sortie en poche début d’année prochaine 🙂 En plus en grand format c’est une brique pas très pratique à lire..
Ah, ça m’a tout l’air d’être du pur Atkinson ! J’adore ses petites formules, son humour pour décrire des situations pourtant pas très drôles pour ses personnages.
C’est exactement ça : elle dose bien. Et elle il n’y a aucune fausse note dans la petite musique qu’elle nous joue.
Escellent article qui donne envie de lire le livre, merci !
De rien. Ce livre vaut d’être lu 🙂
Excellente lecture terminée hier soir ! Même ressenti que toi de belles histoires personnelles dans la grande Histoire.
Cool 🙂 J’attends ton billet maintenant ^^
Je note la référence, ça a l’air fort sympathique ^^.
Et ça se trouve en bibliothèque je pense (pas à Port Royal amha ^^)
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