De Kim Bo-Young
Rivages Imaginaire – 350 pages. Traduit du coréen par Kyungran Choi et Pierre Bisiou.
L’Odyssée des étoiles est la première œuvre de Kim Bo-Young traduite en français. Le livre rassemble trois ouvrages initialement publiés de manière indépendante en Corée du Sud : deux novellas et un assemblage de quatre nouvelles, le tout dans un même univers partagé. Les deux novellas adoptent la forme d’une correspondance entre deux fiancés séparés par des années-lumière, cherchant à se rejoindre sur Terre pour célébrer leur mariage. “Je t’attends” compile les lettres du futur marié, tandis que “Je viens vers toi” regroupe celles de sa promise. Exploitant les voyages à la vitesse de la lumière et la distorsion du temps qu’ils provoquent, ils s’efforcent de coordonner leurs déplacements interstellaires pour concilier le temps relatif et le temps terrestre. Des incidents repoussent sans cesse leur retrouvailles.
Nous sommes comme deux personnes qui naviguent dans la même direction, sur le même fleuve immense et qui rêvent qu’un miracle les fera se rencontrer. Mais ce fleuve est infini et nul ne peut le remonter.
En dépit des nombreux obstacles sur leur chemin et des aléas du courrier interstellaire, ils entretiennent l’espoir d’une conclusion heureuse, malgré les transformations profondes que subit la Terre au fil du temps, notamment des catastrophes écologiques, des guerres et l’effondrement des civilisations. Les deux novellas dialoguent entre elles sans être redondantes, mais avec des résonances. Teintés de poésie, d’une foi inébranlable en l’amour et en l’humanité, et de réflexions sur le passage du temps, ces deux textes captivent.
J’ai repensé au jour où nous étions allés voir tes parents dans leur maison de campagne. La maison n’était plus habitée depuis deux ou trois ans, mais cela avait suffi pour que tout se délabre. Les WC étaient bouchés, les tuyaux d’évacuation étaient cassés, la chaudière avait éclaté. Les endroits exposés au soleil s’étaient racornis tandis que la moisissure avait gagné ceux qui demeuraient dans l’ombre.
Sous le poids de sa solitude, la maison avait pris un méchant coup de vieux. À quoi bon vivre si je n’accueille personne sous mon toit, semblait-elle s’être dit. En quelques années de solitude, elle avait pris dix ans.
« Une maison où personne n’habite, voilà ce qu’elle devient, avais-tu dit en caressant le châssis décoloré de la porte. J’aurai dû être là. »
J’avais l’impression que c’étaient mes cheveux que tu caressais, que tu me parlais à moi, au moi de l’époque, qui se sentait si seul avant de t’avoir rencontrée. À ce moi qui était toujours seul.
Dans “Ceux qui viennent du futur”, le fix-up de quatre nouvelles, l’histoire se concentre sur le personnage de Seongha, qui voyage vers les confins de l’univers et, par conséquent, vers sa fin. Il s’agit, pour lui, d’un voyage sans retour. Son corps contient des nanobots qui lui permettent de supporter de longs voyages dans l’espace. Kim Bo-Young apporte des éclaircissements sur la technologie permettant de voyager à la vitesse de la lumière : les Echions, des entités particulières sont capables de propulser les vaisseaux vers la quatrième dimension. Si les humains peuvent se déplacer à une vitesse proche de celle de la lumière, le temps s’écoule bien plus lentement que pour celui qui reste immobile. La poésie laisse place à une approche plus “scientifique”, avec des théories sur l’espace et le temps. Les explorations de Seongha s’étendent sur un temps long et il vit dans une grande solitude.
« La mort d’une civilisation est pareille à la mort d’une personne, dit le jeune homme avec un sourire, comme s’il avait lu dans les pensées de Selena. Une civilisation perd sa mémoire, meurt, renaît, meurt à nouveau et répète ce cycle comme l’âme d’un homme prise dans le cycle de ses réincarnations. Le fils ressemble au père. Les souvenirs des autres vies demeurent dans l’inconscient et nous répétons les choses que nous avons faites dans nos vies antérieures. Des faits similaires apparaissent et des faits similaires se produisent. Comme si nous regardions un film encore et encore, avec chaque fois un montage imperceptiblement différent. Voilà pourquoi je crois que l’humanité survivra cette fois encore. Elle engendrera une nouvelle civilisation. Ne sois pas si pessimiste. »
Kim Bo-Young pousse le concept de voyage dans le temps très loin. Son œuvre bouscule, incite à la réflexion et suscite des émotions intenses. C’est à la fois impressionnant et déroutant. Une lecture à recommander, en somme.
Un dernier extrait
« Il n’y a pas de passé. Tout cela n’est qu’une illusion. »
Tu m’avais sorti ça et je t’avais demandé ce que tu voulais dire et tu t’étais gratté l’arrière du crâne en prétextant que c’était difficile à expliquer.
« Réfléchis. Ce que nous croyons être le passé est en réalité le présent. Tout est dans le présent. »
Je pense que je comprends enfin ce que tu voulais dire.
Le passé est emporté par le fleuve du temps, le futur n’est pas encore advenu, seul existe le présent, cet « ici et maintenant » qui apparaît comme un éclair et s’évanouit l’instant d’après. Si les anciennes blessures nous piquent encore le cœur, c’est à cause de la chimie qui s’opère dans notre cerveau quand nous nous souvenons du passé.
Tu avais raison, il n’y a pas de passé, seuls existent nos souvenirs. Que nous faisons resurgir ici et maintenant. Le futur n’existe pas non plus, c’est juste quelque chose auquel je pense ici et maintenant.
- Lire les avis de Yogo, L’épaule d’Orion, De l’autre côté de livres, Le Nocher des livres.
Les premiers retours ne m’avaient pas particulièrement enthousiasmés, mais plus j’en vois et plus je me dis qu’il faudrait que je lui laisse une chance, ça a l’air d’avoir un petit truc particulier.
C’est très particulier, en décalage avec nos grilles de référence occidentales, mais une fois qu’on se laisse porter, c’est très agréable à lire. Et la SF dans la 3eme partie est vertigineuse.
J’ai beaucoup aimé les deux premières parties mais je suis complétement passé à côté du dernier texte qui m’a semblé confus avec une approche scientifique qui m’a laissé dubitatif. Mais c’est un univers à découvrir, je le concède. C’est bien de diversifier ces lectures et de ne pas s’arrêter aux traditionnels francanglophones. 😉
Oui, la dernière partie tranche avec les deux précédentes. Et oui à la SF autre que occidentale 🙂
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