Le défi littéraire #365jours avec #Ayerdhal, créé en hommage à l’écrivain Ayerdhal par M. Lhisbei, a commencé le 26 janvier. Pour rappel, ce défi consiste à explorer l’œuvre d’Ayerdhal jusqu’au 25 janvier 2025 et à la faire vivre sur le web. Les participants sont encouragés à partager des billets de blog et des publications sur les réseaux sociaux portant sur ses romans, essais, nouvelles, ainsi que des comptes-rendus d’émissions de radio, d’apparitions télévisées ou de conférences de l’auteur. Nous avions promis de vous fournir des contenus exclusifs. M. Lhisbei souhaite vous faire découvrir Ayerdhal à travers des témoignages de gens qui l’ont côtoyé personnellement ou professionnellement.
Pour commencer, nous avons le plaisir de vous présenter une interview avec Sara Doke, journaliste, traductrice et autrice de science-fiction et de fantasy (pour sa bibliographie, direction NooSFere). Avec Ayerdhal, Christian Vilà et le Syndicat des écrivains de langue française (SELF), elle a mené le combat contre les abus du projet ReLIRE. Elle est présidente du Prix Julia-Verlanger et enseigne à l’école de recherche graphique, école d’art et de design. Nous la remercions chaleureusement d’avoir pris le temps de répondre à nos questions. Nous espérons pouvoir, par la suite, vous proposer d’autres interviews pour ce #365jours avec #Ayerdhal.
1/ Pouvez-vous nous parler de votre relation avec Ayerdhal et comment vous l’avez rencontré pour la première fois ?
J’ai rencontré Ayerdhal pour la première fois aux Galaxiales, en 1998, je venais de découvrir ses romans et j’étais très intimidée. Je l’ai pourtant abordé et interviewé pendant près d’une heure. Cet interview a été publiée dans Phénix avec qui je collaborais à l’époque et mise en son dans mon émission de radio, En Terre étrangère. J’ai envoyé la cassette (et oui) à Ayerdhal par la poste et il a beaucoup apprécié mon travail. C’est aussi à cette occasion que je me suis rendue compte que des gens lisaient mes articles.
Ayerdhal est devenu un ami au cours des années, nous nous sommes croisés, nous avons discuté, nous avons bu des verres tard dans la nuit avec d’autres auteurs de SF et puis… un jour de 2008, nous avons décidé que notre relation était toute autre.
Il s’est rapidement installé à Bruxelles et nous ne nous sommes jamais quittés. Je ne peux pas vous parler de notre relation, c’est bien trop intime, il suffit de dire que nous nous sommes infiniment aimés jusqu’à son décès. Nous nous sommes mariés en 2012.
2/ Pouvez-vous partager une anecdote ou un moment mémorable que vous avez vécu avec lui ?
Désolée, je n’arrive pas à en isoler une, j’en ai tellement… Peut-être la fois où il a dédicacé un roman de Jean-Claude Dunyach d’un « ce roman que j’ai écrit quand je n’étais pas tout à fait moi-même » (Jean-Claude lui a rendu la pareille.)
3/ Comment décririez-vous son style d’écriture ? Quels sont ses sujets de prédilection ou les thèmes récurrents dans son travail ? Les avez-vous vu évoluer au fil des années ?
Ayerdhal avait un style très personnel et très précis, travaillé, au point que certains chapitres de ses romans ont été réécrits des dizaines de fois. Sa langue a évolué au fil des années pour devenir de plus en plus aiguisée comme on a pu le voir avec ses derniers textes.
Ses thèmes ont peu évolué, eux, c’étaient des choses tellement viscérales qu’il ne pouvait y échapper. La liberté, l’anticolonialisme, la défense des minorités, l’anarchie comme système de pensée, la responsabilité de chacun et encore plus celle des gouvernements qui tentent de limiter les libertés et les droits des citoyens, la révolte jusqu’à la révolution à tous les niveaux…
Son intérêt pour d’autres formes de littératures s’est affiné avec le temps, ce qui lui a permis de s’intéresser au thriller, mais ses romans sont restés des romans d’aventure politique et son travail a toujours été celui d’un écrivain de science-fiction, quel que soit le genre dans lequel il écrivait.
4/ Ayerdhal était un artiste engagé. Quels messages et quelles valeurs portait-il à travers son œuvre ? En quoi ses œuvres sont-elles toujours pertinentes aujourd’hui ?
Comme le montrent les thèmes qu’il a abordé dans son œuvre, son engagement était toujours profondément politique pour la liberté et la responsabilité. Sa révolte était permanente et ne pouvait pas ne pas être écrite. « La fonction de l’écrivain est de faire en sorte que nul ne puisse ignorer le monde et que nul ne puisse s’en dire innocent », il citait cette phrase de Sartre pour définir sa pensée. Il était profondément anarchiste et souhaitait partager ses valeurs de respect et de responsabilité dans tous ses écrits, que ce soit sa fiction ou ses coups de gueule.
C’est aussi pour cela, au-delà de leur qualité intrinsèque que ses romans restent d’actualité, ils parlent de ces valeurs si importantes, ils mettent en garde contre le colonialisme et le rejet de l’autre, ils mettent en scène des personnages qui doutent mais qui agissent (surtout les femmes) sur leur environnement, sur leur situation, sur le monde.
5/ Comment percevez-vous l’héritage laissé par Ayerdhal dans le monde de la science-fiction actuelle ?
Une des choses qu’Ayerdhal a imprégné dans le monde de la Science-fiction, c’est la bienveillance, c’est l’accueil, c’est le soutien. C’est la révolte nécessaire, l’aide qu’on peut apporter à tous pour rendre notre vie plus grande et plus belle, plus juste.
6/ Y a-t-il un aspect méconnu ou sous-estimé de son travail que vous aimeriez mettre en lumière ?
Je ne sais pas si c’est vraiment méconnu mais j’aime beaucoup ses fausses tentatives d’utopie, à chaque fois, ça foire mais c’est fait pour. Que ce soit dans La Bohème et l’ivraie ou dans les Chroniques d’un monde enclavé, la tentation de l’utopie, de la résolution est toujours présente mais toujours rattrapée par la réalité. Ayerdhal n’avait pas d’illusion par rapport au monde mais lui apportait de quoi rêver.
7/ Selon vous, par quel livre commencer pour découvrir Ayerdhal ? Et quel est votre livre préféré de lui ?
Je dis toujours qu’il faut commencer par le premier. La Bohème et l’ivraie reste un de mes favoris et celui par lequel j’aime faire entrer de nouveaux lecteurs. Mais selon leur sensibilité, il peut s’agir de Demain un oasis ou de Chroniques d’un rêve enclavé… Il y en a tant que j’aime et que je connais si bien, j’ai du mal à choisir.
8/ Si vous aviez l’opportunité de lui dire quelque chose dire aujourd’hui, que lui diriez-vous ?
Je lui dirai que sa place est toujours chaude, que son astéroïde reste près de celui de Norman Spinrad, qu’on a toujours besoin de lui.
9/ La parole est à vous. Y a-t-il quelque chose que vous aimeriez ajouter ou partager au sujet d’Ayerdhal ?
Yal était quelqu’un de désespéré, toujours mais avec un espoir et une confiance dans l’humain qui le dépassait parfois. C’est aussi par désespoir qu’il écrivait l’espoir déçu mais toujours l’espoir de l’utopie et du respect de l’autre.
Pour terminer, une anecdote de M.Lhisbei concernant Sara et Ayerdhal.
Lorsque je photographiais une conférence aux Utopiales à laquelle participait Sara Doke, j’ai remarqué Ayerdhal au fond de la salle en train de photographier Sara. J’ai tenté de le photographier la photographiant, mais la lumière était trop faible et toutes mes photos étaient médiocres. Ayerdhal m’a alors repéré, nos regards se sont croisés, et il m’a fait signe d’approcher. Avec un large sourire et une lueur de fierté dans les yeux, il m’a dit : “Elle est belle, hein” et d’jouter “Elle mérite, elle a du talent”. J’ai ressenti sa fierté et son immense bonheur de la voir sur scène.
Merci.
Avec plaisir.
Merci, très belle interview 🙂
Merci ! Tout le mérite revient à Sara.
C’est touchant de lire tout ça. Bon je n’étais pas au courant du défi, c’est chose faite, c’est l’occasion de sortir Histrion et Sexomorphose de ma Pal.
Oui. C’est émouvant. Il nous manque. Bonnes lectures, hâte d’avoir ton retour :).
Merci, Sara. Ma PAL (pile à aimer) est emplie de vous deux. J’ai beaucoup de beaux souvenirs….. Yal vivra toujours en celles et ceux qui l’ont connu. A Épinal et ailleurs.
Merci Bernard pour ce témoignage.
“Ayerdhal n’avait pas d’illusion par rapport au monde mais lui apportait de quoi rêver” : de ce que j’ai lu d’Ayerdhal, cette phrase est parfaite.
Touchante interview.
100% raccord avec ton commentaire.