Hamlet au paradis – Jo Walton

hamlet au paradisHamlet au paradis
Le subtil changement T2

De Jo Walton

Denoël Lunes d’encre – 352 pages

Deux semaines après les évènements racontés dans Le Cercle de Farthing, nous retrouvons l’inspecteur Carmichael pour une nouvelle enquête. L’actrice pressentie pour jouer Hamlet – dans une pièce où les rôles masculins sont tenus par des femmes et inversement – vient de mourir dans l’explosion de sa maison. Il apparaît vite que cette explosion est le résultat de la fabrication artisanale et quelque peu ratée d’une bombe. L’actrice projetait en effet d’assassiner Hitler puisque ce dernier doit assister à la première représentation de cet Hamlet moderne. C’est Viola Lark qui hérite du rôle d’Hamlet. Viola Lark, dont l’une des soeurs, Olivia Larkin, a épousé James Thirkie – le Sir Thirkie assassiné à Farthing quelques semaines auparavant – avant de mourir pendant le Blitz. Viola Lark dont l’une des autres soeur est devenue Mme Himmler. Viola Lark dont la soeur Siddy fomente des complots communistes. Avant même que les répétitions ne commencent, Viola se fait rattraper par la politique, elle qui ne vit que pour le théâtre, et par sa famille puisque dans la famille Larkin, l’un ne va pas sans l’autre.

Hamlet au paradis extrait 1Comme dans Le Cercle de Farthing, le roman est construit sur deux lignes narratives parallèles et complémentaires : la narration de Viola à la première personne et l’enquête de Carmichael. Le contexte historique est identique, néanmoins la tonalité du roman se révèle beaucoup plus sombre : on quitte le manoir de Farthing, ses parterres de fleurs bien entretenus, son ambiance feutrée, la haute société et ses non dits assassins, sa paix signée dans un déshonneur caché pour rejoindre la ville, ses théâtres, ses prolétaires, un durcissement des lois répressives et la réalité d’un fascisme que le peuple accueille avec enthousiasme. Les Juifs deviennent peu à peu les boucs émissaires idéaux. La classe dirigeante ferme les yeux sur le génocide des juifs sur le continent et emboîte le pas d’une idéologie mortifère. La montée du fascisme se réalise à une vitesse ahurissante…

Hamlet au paradis extrait 2Comme Lucy Kahn, Viola refuse les conventions et se rebelle, tout en allant beaucoup plus loin : actrice, indépendante, elle pense être sortie du carcan familial. Elle a, elle aussi, un petit côté agaçant : elle est trop théâtrale (dans ses émotions, ses réactions). C’est probablement le résultat de son éducation excentrique ainsi que le prix à payer pour son talent… Le personnage de Carmichael évolue aussi : après les évènements de Farthing (qu’il est difficile de ne pas spoiler) il peine à accepter sa situation, ressasse ses souvenirs et se désole. Acculé, à la merci de son supérieur hiérarchique, fâché contre lui-même, toute estime de soi envolée, il pense démissionner une fois l’affaire de Farthing oubliée. Ce que la vie peut être contrariante, parfois… Elle peut se jouer d’un homme comme un écrivain du lecteur.

Une année sépare mes deux lectures. Le premier tome avait été un coup de coeur et je souhaitais prendre le recul nécessaire avant d’entamer ma lecture de Hamlet au paradis. J’ai bien fait. Si j’ai retrouvé avec plaisir la plume de Jo Walton, son humour sous-jacent, son uchronie politique glaçante (et qui tient ses promesses, merci) dans un roman anglais qui se lit tout seul et avec un plaisir renouvelé, il m’a manqué un petit quelque chose. Même si Jo Walton joue avec maestria sur le contraste entre la vie sur scène de Viola (qui incarne un personnage hésitant et rongé par le doute) et sa vie réelle, le milieu du théâtre ne se révèle pas aussi fascinant que le petit monde des aristocrates sur lequel elle portait un regard acéré dans Le Cercle de Farthing. J’ai aussi beaucoup apprécié que Jo Walton distille quelques informations sur le devenir de Lucy Kahn et de son mari. Je me suis replongée avec facilité dans cette Angleterre alternative, comme si ma lecture du Cercle de Farthing datait de la veille. Je sais que je dois cette immersion rapide et sans heurt au talent de l’auteure. Un deuxième tome hautement recommandable, donc.

PRIX UCHRONIE 2015Lu pour le Prix ActuSF de l’Uchronie 2016

Cet article a 17 commentaires

  1. Lune

    J’ai préféré le troisième, alors tu me diras, que ce soit pour l’évolution des personnages ou le contexte uchronique qui monte bien plus en puissance.

    1. Lhisbei

      Je suis dedans 🙂 La coupure temporelle joue beaucoup en faveur de la différenciation avec les deux précédents titres (j’apprécie parce que ma lecture d’Hamlet est encore trop récente à mon goût).
      Et j’apprécie vraiment ce qu’est devenu Carmichael pour l’instant.

  2. Vert

    Je l’ai un peu moins aimé que le Cercle de Farthing (sans doute l’effet de découverte en moins) mais ça ne m’a pas empêché d’acheter la suite directement… ce qui n’arrive vraiment pas souvent…

  3. J’ai également préféré le troisième mais il reste très bon. C’est un très bon cycle. A conseiller à des débutants en SF ou en uchronie, non ?

  4. valeriane

    J’ai bien apprécié ce tome aussi (tout comme le 1 et le 3 finalement).
    Je me suis assez rapidement attachée à Carmichael, et pareil… Lucy et Viola m’ont aussi gonflée avec leur côté neu-neu power 😉 Mais c’est pour le bien de récit! (Oui je trouve que ça colle bien pour rendre compte des moeurs de l’époque).

    A la fin du tome, j’étais pressée de lire la suite (et pour une fois je n’ai pas laissé traîné une série mille ans. Je me suis rée dessus dès sa sortie).

    Walton nous balance bien dans son Angleterre qui fait quand même froid dans le dos.
    Il me reste à découvrir Morwenna que vous avez tous (ou quasi je pense) encensé.

    1. Lhisbei

      Moins aimé Morwenna que d’autres. Le meilleur reste à venir, il paraît ^^

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