De Mariana Enriquez
Éditions du Sous-sol – 768 pages. Traduction de Anne Plantagenet
Des histoires de famille
De son union avec Rosario, Juan a eu un fils, Gaspar qu’il cherche à protéger de sa belle-famille. Pas n’importe qu’elle famille d’ailleurs. Une famille de riches propriétaires argentins, à la tête d’une société secrète qui voue un culte à un dieu primitif, l’Obscurité. Juan est leur médium puisqu’il est capable d’invoquer cette entité dont on sait peu de choses si ce n’est qu’elle aime dévorer ses adeptes lors des Cérémonials. Les membres de l’ordre sont persuadés que celui qu’ils vénèrent leur apportera la vie éternelle à condition de parvenir à déchiffrer ses messages qui semblent incohérents. Le médium est à la fois incontournable et prisonnier de cet Ordre. Arraché à ses parents quand il était enfant, au prétexte d’une santé plus que fragile – une malformation du coeur qui aurait du lui être rapidement fatale, il a bénéficié des meilleurs soins (et d’opérations risquées) pour pouvoir continuer à servir l’Ordre. Les médiums sont rares et ne vivent pas vieux. Et il est nécessaire de leur trouver un successeur. Certains membres n’ont aucun scrupules à utiliser les méthodes les plus cruelles (torture et mutilations) pour tenter de révéler des dons, sans grand succès.
Le récit alterne points de vue, lieux et époques, ce qui permet d’explorer le contexte politique ou social argentin notamment la dictature militaire des années 1980 mais aussi le Londres psychédélique des années 1970 en passant par le Nigéria à l’époque coloniale. Mariana Enriquez retrace ainsi l’histoire de l’Argentine, au travers des personnages et de leurs ancêtres. Elle lie intimement la dimension fantastique du roman – qui reprend des thèmes classiques, des pouvoirs, des invocations de démons dans des cercles de craie, la vision des morts, des maisons abandonnées et hantées – à l’histoire et à la culture de son pays. La densité du roman n’empêche pas une lecture fluide, et j’ai apprécié de trouver des éléments qui se répondaient dans les histoires des différents personnages, les liant les uns aux autres avec maestria, à travers le temps.
Échapper à son destin ?
Juan cherche à protéger son fils en l’éloignant de l’Ordre tout en limitant l’éclosion de ses pouvoirs. Erreur stratégique. C’est de l’entité qu’il faut s’éloigner, et, ce n’est guère possible, on s’en doute assez vite. Conséquence : sachant que la fuite est vouée à l’échec, le roman semble un peu longuet. Il ne reste plus qu’un enjeu personnel pour le gamin : suivra-t-il les traces de son père en devenant le nouveau médium de l’Ordre ou rejettera-t-il tout ce qui ne cesse de le poursuivre ? Et comme Juan l’a laissé dans l’ignorance de ses dons, de l’Ordre et de tout ce qui touche à l’Obscurité, chacune de ses actions et chaque pas vers la connaissance et la révélation de ses pouvoirs peuvent tout autant l’aider que le perdre.
En définitive, je reste mitigée sur cette lecture. Même si la construction du récit et la narration impressionnent et même si le fantastique qui se déploie dans le roman m’ont convaincue, il m’a manqué quelque chose pou totalement succomber.
Une citation
Nous avons écouté la première histoire à côté du parterre d’orchidées, à la lueur d’une lampe qui donnait un reflet jaune aux yeux noirs de mon grand-père. Santiago Bradford est né en Argentine et a hérité des terres, des plantations de maté, des scieries et des bateaux de la famille, qui est devenue riche au XIXe siècle. Comment ? Par la méthode habituelle : spoliations, associations avec d’autres puissants, choix du bon camp pendant les guerres civiles et alliances avec des politiciens influents. Les premiers Bradford sont arrivés à Buenos Aires en 1830 ou 1835, il y a deux versions, mais cette date n’est pas significative. Notre Année Zéro, c’est 1752. Mon arrière-arrière-grand-père, William Bradford, était libraire et propriétaire d’une imprimerie en Angleterre. Son meilleur ami, Thomas Mathers, était propriétaire terrien. Malgré cette importante différence sociale entre eux (je pense qu’elle a toujours une influence sur la position de nos familles aujourd’hui), ils devinrent amis car ils avaient la même passion pour le folklore et l’occultisme. Pendant leur temps libre, ils parcouraient ensemble le pays pour acheter des livres et recueillir les histoires qui les intéressaient. C’étaient des hommes cultivés, à la recherche de récits et de témoignages de personnes avec des dons, gifted ou cursed.
Dommage 🙁
(le lien vers ma chro ne renvoie pas vers ma chro :D)
Oui, dommage 🙁 Le lien est corrigé 😉
Merci 🙂
Et voilà, Challenge réussi, Lhisbei !
Un pavé qui se lit bien, je l’avais constaté (pas fait de billet), mais à moi aussi il a manqué un je ne sais quoi pour être emballée comme d’autres l’ont été, même si j’ai apprécié ma lecture.
ça me rassure, j’ai vu tellement d’avis dithyrambiques que je me sentais seule 🙂
(job’s done, oui 😉 )
(pfft, mon petit smiley de félicitations pour le challenge n’a pas plu, il a disparu au passage !)
Oh, mince. C’est sûr que quand tu commences à trouver le temps long, sur un livre aussi volumineux ça se complique d’autant plus. ^^’
oui, ensuite, c’est loooooooooooooooooong. Tout est relatif cependant, j’ai mis autant de temps à lire la nuit du faune alors qu’il est 3 fois plus court…. :p
Je crois que tu es le premier avis mitigé que tu lis, s’il m’arrive la même chose je me sentirais moins seule 😀
#TeamPasSiSeul 😉
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