De Yves et Ada Rémy
Dystopia – 160 pages
Le chemin pour arriver jusqu’à un livre se révèle parfois long et tortueux, a fortiori quand ce livre est publié par une toute petite maison d’édition associative. C’est en suivant les pérégrinations éditoriales de Mélanie Fazi, une auteur que j’admire (je dispute à Nick le titre de plus grande fan – et c’est certifié Misery free), que mon chemin a fini par croiser celui du Prophète et du Vizir. Grâce à la carte blanche que lui avaient donné les éditions Dystopia, Mélanie Fazi a pu porter à son terme un projet qui lui tenait à coeur : traduire et faire publier à nouveau en France les écrits de son auteur préférée, Lisa Tuttle. Ainsi naissent les fantômes, le recueil de nouvelles qui en a résulté (et pour lequel j’ai eu un coup de coeur), a été primé par le Grand Prix de l’Imaginaire 2012. Depuis je tente de suivre l’actualité de cette maison d’édition de près. En juin, pour la troisième édition des Dystopiales, l’éditeur promettait une surprise. Et la surprise la voici : un inédit d’Yves et Ada Rémy.
Avant d’apprendre la nouvelle de la sortie du Prophète et du Vizir, je n’avais jamais entendu parler d’Yves et Ada Rémy. Et pour cause, leur dernière publication date de 1978 (La maison du Cygne – Grand Prix de l’Imaginaire l’année suivante) et, à cette date, j’avais deux ans. J’étais alors un peu trop jeune pour lire de la SF, voire même pour lire tout court. Cela n’excuse pas mon inculture mais on prend les échappatoires qu’on trouve… Je disais donc que je n’avais jamais rien lu du couple Rémy avant ce recueil de deux nouvelles (ou plutôt une novella et une nouvelle). Je m’aventurais donc en terre inconnue, encore plus inconnue de par l’absence de texte en quatrième de couverture. Heureusement le billet d’Efelle m’a au moins donné un point de repère et la superbe et intrigante couverture a fini de me convaincre (oui une couverture comme celle-là est un argument, regardez-la bien). Faisons donc connaissance avec Le Prophète et le Vizir.
Dans « L’ensemenceur », le premier et le plus long des deux textes présentés ici, nous sommes projetés au 8ème siècle de l’Hégire (ce qui correspond à notre 13eme siècle occidental) et nous suivons les traces de Kemal bin Taïmour. Kemal n’est qu’un petit pêcheur de perles de Bahreïn mais il est aussi un pêcheur exceptionnel puisque Allah lui a accordé le don de deviner quelles huîtres renfermaient des perles. Et comme tous les doués touchés par la main d’Allah, une particularité physique le distingue. Il se fait capturer par les sbires d’un émir qui, craignant une invasion, s’est mis en tête de percer les secrets de l’avenir en s’attachant les services des monstres devins. Au milieu de cette troupe, le pouvoir de Kemal s’amplifie : il voit maintenant l’avenir à des siècles de distance. Prophète devenu inutile pour un émir peu intéressé par le futur lointain, le voila jeté sur les routes avec ses oracles qui, l’espère-t-il, seront comme des graines dont les arrière-petits-enfants des arrière-petits-enfants en récolteront les fruits :
« Kemal quitta Cagliari avec l’impression récurrente que le futur n’était pas gravé dans le marbre. C’était un brouillon tracé par Allah et Il attendait que les hommes le valident ou le corrigent, selon qu’ils tiennent compte ou non d’un message reçu bien des années plus tôt par les pères des grands-pères des arrière-grands-pères. Il donnait ainsi aux hommes le libre choix de décider de leur avenir. Il devait donc exister de par le monde et au cours des siècles des messagers comme lui ».
Kemal avec ses visions de l’avenir permet au lecteur de revisiter son passé. Et c’est une balade agréablement contée que les auteurs lui offrent. Conte oriental mâtiné de modernité, flirtant avec l’histoire secrète, l’uchronie, jouant avec la petite histoire toujours ignorée par la grande, « L’ensemenceur » dépayse par son cadre, étonne par sa justesse et enchante par sa magie.
« Les huit enfants du vizir Fares ibn Meïmoun », le second texte, découle du premier. Kemal avait prédit un châtiment divin au vizir Fares ibn Meïmoun pour son impiété lors de sa conquête de Tunis : ses enfants mourraient. Le vizir entame donc un duel avec le Destin, un duel fantasmagorique, mis en scène de manière théâtrale et commenté à intervalles régulier par les auteurs :
« Le drame est posé. On connaît les deux adversaires. Le Destin qui entend qu’une prophétie soit une loi et que force lui soit donnée, et un vizir coupable de bien des ignominies mais décidé à tout entreprendre pour sauver ses enfants. »
A l’image du décor, le Chott el-Jérid un désert de sel, où le soleil est hostile et la soif implacable et où les mirages précèdent la mort, la nouvelle déroule son fil jusque l’inexorable et funeste dénouement. La fin, ambiguë, sème le doute dans l’esprit du lecteur. Lequel s’est donc joué de l’autre ?
Le chemin pour arriver jusqu’à un livre se révèle parfois long et tortueux. Mais il il y a des chemins longs et tortueux qui valent d’être empruntés, même si ce n’est que par (un) hasard (bienheureux), un concours de circonstances extérieures à la volonté du lecteur. Les voies de la littérature sont impénétrables…
“je dispute à Nick le titre de plus grande fan – et c’est certifié Misery free”
Je ne t’ai pas vu aux premières séances de dédi-casse de Mélanie à Scylla. (plus grand et ancien fan)(les pires en fait)(flute, ça fait un peu sociopathe) [Cheese]
@ Nick : en 2005 ça existait Scylla ? :p
Ce bouquin est dans ma PàL. J’aime beaucoup les éditions Dystopia.
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