La seconde vie d’Eva Braun – Grégor Péan

La seconde vie d’Eva Braun

De Grégor Péan

Robert Laffont – 224 pages

Quand l’histoire sort de ses rails

Fin de la Seconde Guerre mondiale. Hitler, malade et vieillissant, s’est retranché dans son bunker de la chancellerie à Berlin pendant que les Alliés progressent à l’Ouest et les Soviétiques à l’Est. Hitler a déjà planifié son suicide mais décide d’envoyer Eva Braun, maîtresse qu’il vient d’épouser, rejoindre le Berghof, résidence secondaire du Führer située dans les Alpes bavaroises. Un sosie d’Eva, Ilse Decker, avalera, sans le savoir, le cyanure et sera immolée avec le Führer. Hitler confie cette mission d’exfiltration au docteur Morell, plus dealer d’amphétamines que médecin, auquel se joignent deux SS. Ils ne sont même pas sortis de Berlin que la mission foire dans les grandes largeurs. Eva se retrouve aux mains de l’Armée Rouge.

Une seconde vie sans seconde chance

Quelques flashbacks permettent de mieux connaître la vie d’Eva. Embauchée à 17 ans à Munich comme secrétaire de Heinrich Hoffman, photographe libidineux à moitié maquereau, elle se rêve en star de cinéma. Assez fine pour éviter les mains aux fesses de Hoffmann et de jouer l’escort girl pour les futurs pontes du parti national-socialiste qui fréquentent la boutique, elle tape dans l’oeil d’Adolf Hitler, 40 ans et étoile montante de la politique. Une fois prisonnière de l’Armée Rouge, elle est torturée et violée avant d’être envoyée au goulag sibérien de Magadan, dans le plus grand secret. Seule Natacha Petrovna, intellectuelle germanophone et traductrice de Goethe, devenue par un concours de circonstance interprète pour Staline, Tataïev son supérieur hiérarchique direct et Staline en personne savent que la détenue Rita Goethe est en fait madame Hitler. Eva Braun n’existe plus. Que reste-t-il d’elle ? Est-elle la somme de ses souvenirs ? Rita Goethe n’a jamais existé et celle qui les incarne sombre dans un oubli quasi total lorsque l’URSS se fissure…

Une histoire dans l’Histoire

Pas d’empathie pour Eva Braun, ici. Même si elle est décrite comme une écervelée, impossible de la percevoir comme une amoureuse innocente et inconsciente des crimes perpétrés par le IIIeme Reich. L’absoudre de ses fautes n’est d’ailleurs pas le propos du roman. Au travers d’Eva/Rita et de Natacha Petrovna c’est l’Histoire que Grégor Péan passe au crible, de la barbarie nazie à celle des goulags. Les deux totalitarismes qui se succèdent dans la vie d’Eva Braun, véritables machines à broyer, n’ont engendré que morts et ruines. Grégor Péan en dresse un portrait au vitriol, non sans gouaille, sarcasme et une pointe d’humour noir. Roman fluide et bien documenté, La seconde vie d’Eva Braun livre une tragicomédie qui se dévore d’une traite.

Citation

Au moment où Goebbels arrive à la Nouvelle Chancellerie, Eva Braun se trouve dans la Marmorgalerie, la galerie des Marbres, qui jadis avait fait la gloire du IIIe Reich. Elle est allée promener ses chiens. Une femme qui promène ses chiens, il pourrait s’agir d’une scène banale. Eva les appelle à travers le grand hall : « Allez les enfants, dit-elle, on y va. » Rien ne semble altérer son humeur. Sauf que ce monde est sur le point de s’écrouler et que cette femme est l’amante d’Adolf Hitler. Sauf que les Russes ont déclenché trois jours plus tôt LA grosse offensive et que déjà les tirs d’artillerie pleuvent sur la ville. L’insouciance avec laquelle elle promène ses clébards est assez sidérante en fait. On a envie d’aller la voir et de lui dire : Eh oh, tu comprends, là, ce qui se passe ? Mais bon, de toute façon, avec Eva Braun, il va falloir tout reprendre depuis le début. Vu l’insouciance dont elle a toujours fait preuve, vu le temps passé à jouer la petite maîtresse de maison à Berchtesgaden, à filmer son bonhomme en uniforme, assortissant ses films de titres niaiseux, oui, il va falloir tout reprendre. Quelque chose s’est mal emmanché au départ.

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