De Johan Heliot
Critic – 360 pages
Retour de chronique du Bifrost 109
1515. François 1er et Charles Quint se disputent l’Europe, plus particulièrement les royaumes d’Italie. Léonard de Vinci, génial inventeur au crépuscule de sa vie, s’est mis au service de François 1er et a rejoint le manoir du Cloux, près d’Amboise, où il travaille sur une machine capable de ralentir le cours du temps et repousser l’heure de sa mort. Son utilisation génère des effets délétères, à l’image de la furia, cette brume qui fait surgir des réalités alternatives, des îlots d’univers parallèles, existants ou fantasmés, et ajoute de la confusion à la complexité des opérations militaires. Traverser ce brouillard sans protection garantit aussi des rencontres périlleuses avec des autochtones humains souvent inamicaux, voire quelques animaux inconnus du bestiaire des voyageurs et tout aussi désorientés que ces derniers. Vous l’avez compris, ce monde n’est pas tout à fait le nôtre, même s’il en partage des similitudes.
Le récit prend la forme d’une chronique rédigée par Reginus au crépuscule de sa vie. Il revient sur sa jeunesse, lorsqu’il n’était encore qu’un jeune clerc, orphelin de père et de mère, confié aux moines de Florence. Doté d’une mémoire prodigieuse, il est enlevé par une petite troupe de mercenaires à la solde du condottiere Sforza, afin de les guider dans le brouillard de la furia lors de leur expédition pour récupérer la machine du maestro et faire définitivement basculer la guerre. Naïf, il s’attache quelque peu à ses geôliers, tombe éperdument amoureux de celle qui se fait appeler L’Ombre, et ne perce qu’au dernier moment les motivations des acteurs de la pièce qui se joue, autour de lui comme de lui. En bon chroniqueur, Reginus ne ménage pas ses effets, et la plume de Johan Heliot, madrée, toujours habile, se fait tour à tour truculente, légère ou grave. Comme à son habitude, l’auteur se plaît à mêler la petite histoire à la grande, celle des personnages sans noblesse de titre, dotés d’un sens de l’honneur qui leur est propre, pris au piège d’intrigues qui les dépassent, et aux prises avec une réalité qui déraille. Il en profite pour revisiter les figures des personnages qui ont marqué notre histoire, à commencer par Leonard de Vinci. Loin de l’image du vieux sage n’aspirant qu’à la quiétude trouvée au Clos Lucé que nous connaissons, il en fait un ingénieur combatif, bien décidé à tromper la Faucheuse, concepteur d’une technologie extraordinaire qu’il compte utiliser à des fins personnelles, les conséquences lui important peu. Rompu à l’exercice uchronique, Johan Heliot nous fait voyager avec maestria dans les brumes du temps, à la rencontre d’une époque impétueuse. La magie opère dès les premières pages. Il serait dommage de se priver d’une telle aventure.
Un extrait de la Fureur des siècles
Ailleurs, plus loin, un autre lieu, un autre temps – ou plutôt leur absence.
Le vieux maître ouvrit les yeux, revenu à la conscience. Il n’avait pas vu Dieu, non plus rien d’approchant, peut-être parce qu’au cœur même de la grandiose machine de l’Horologium tout esprit connecté devenait omniscient et que le Créateur abhorrait la concurrence ?
Plus sérieusement, comme il le soupçonnait, ici la mort n’était pas un état permanent – pas plus que la vie, d’ailleurs ; l’une et l’autre n’avaient de sens qu’en regard d’un déroulement de l’Histoire, mais sans avant, ni après et pas plus de pendant, sans l’incessant mouvement des corpuscules constituant la matière vers leur inéluctable déclin, nulle forme de pourrissement ne corrompait les chairs.
Leonardo était donc, pas plus mort que vivant. Il se sentait vibrer à l’unisson du changement survenu dans son monde d’origine. Là-bas, le cours des événements avait pris un chemin différent de celui qu’il suivait jusque-là. Le maestro choisit d’y voir un signe favorable à l’accomplissement de son ultime dessein.
Celui qu’il attendait était sûrement en chemin et dès qu’il aurait atteint sa destination, l’infinie patience de Leonardo serait récompensée au-delà de ses plus folles espérances.
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Voilà bien longtemps que je n’ai pas lu Johan Heliot. C’est une bonne idée de prendre un personnage très connu, inventeur, et de lui faire vivre une autre réalité. C’est peu ou prou ce qu’il a fait avec Jules Verne à ses débuts (à lui Johan Heliot) avec « La lune n’est pas pour nous ».
C’est assez réussi même si c’est plus court que La lune n’est pas pour nous 🙂 Bonne lecture à toi
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