Bifrost n°71

J’ai déjà dit dans ces colonnes (oui, ce blog a des colonnes, regardez bien) que, chez les auteurs français, j’en suivais plus particulièrement quelques uns et que Michel Pagel était de ceux-là. J’ai donc logiquement craqué pour ce Bifrost qui lui est consacré.

Aparté. Le premier qui me sort que, après les achats du 68 en numérique et du 69 en version papier, l’abonnement aurait été, sur le plan financier, un bon plan (avec le bouquin du Bélial ou de Lunes d’encre offert), je le mords (et s’il ajoute « je te l’avais dit », je lui pète un genou). Les calculs a posteriori c’est facile : Bifrost n’affiche pas la thématique de ses dossiers un an à l’avance (ou plutôt douze mois glissants) – si quelqu’un a le programme ceci dit, je prends – et je ne veux pas me retrouver avec un ou ou plusieurs numéros qui ne m’intéressent pas. C’est pour ça que j’évite les abonnements aux revues (et parce que des revues ça finit par prendre de la place dans la biblios et que je préfère que cette place bénéficie aux livres plutôt qu’aux revues). Fin de l’aparté.

Causons de ce numéro 71 de Bifrost. Numéro – à la couverture dotée d’une très belle illustration signée David Lecossu – qui sonne ma réconciliation définitive avec la revue. Deux possibilités pour expliquer cette réconciliation : Bifrost a mis en berne son ton arrogant sans perdre de son exigence ou je vieillis, je m’aigris et je tombe dans le public habituel de la revue (le vieux fan de SF blasé). Si, en vieillissant je perds en effet patience devant certaines publications SFFF (mais aussi en entendant certains discours apocalyptiques de Cassandre comme « la SF est morte », « la surproduction tue le marché », « on ne publie que de la merde en masse » ou « les collections/éditeurs spécialisé(e)s vont disparaître »), j’ai trouvé que globalement le ton de la revue était un peu moins hautain que d’habitude. J’ai même supporté la lecture du cahier critique (avec mon garde-fou personnel : ne lire que les critiques de livres que j’ai déjà lus). Sur ce numéro, j’étais plutôt raccord avec les critiques publiées, ça me change. Certains chroniqueurs envoient, comme à leur habitude, autant, sinon plus, d’épines que de roses (des épines parfois bien planquées sous les feuilles d’ailleurs). J’admire leur constance et leur régularité, elles me permettent de me positionner, généralement à l’exact opposé du spectre d’ailleurs. Laissons maintenant de côté le cahier critique pour passer à l’important et à l’essentiel, et, pour ma part, à ce qui motive mon achat.

L’important d’abord. Dans ce numéro 71 on trouve trois nouvelles, toutes inédites et toutes de qualité. Des trois textes mon préféré reste celui de Michel Pagel.
« Cosplay » de Michel Pagel s’approche par la taille d’une novella. Cosplay et téléréalité poussés à leur extrême s’y mélangent pour brosser une dystopie glaçante. Le format, à la fois court et long, ne permet pas une étude sociétale détaillée mais joue quand même son rôle de signal d’alarme. Les personnages sont bien caractérisés, leurs motivations sensées dans un monde à l’échelle de valeur qui nous reste étrangère, un monde éloigné du notre vers lequel nous pourrions évoluer (ou plutôt régresser). On ne fait pas de la bonne littérature avec des bons sentiments. En revanche, en explorant les faces les plus viles de l’homme, Michel Pagel lecteur une belle lecture.
«  Le Choix du quêteur » de Thierry Di Rollo est un texte de space-opera bien éloigné des clichés habituels du genre. Il se focalise sur l’humain et les tiraillements d’un quêteur après une ultime reconstitution holographique de la scène d’un accident qui a causé la perte d’un vaisseau de transport de marchandise et la mort de son équipage. En dire trop vous gâcherait le plaisir de lecture. Sachez juste que la nouvelle est présenté de cette façon « un texte poignant d’une grande richesse émotionnelle. Une perle noire » et que ces mots s’appliquent parfaitement.
« L’Homme » de Paul McAuley est une nouvelle à rattacher au planet opera puisque Ziyi s’est installée sur une planète colonisée pour échapper au Spasme, une crise économique globale qui a bouleversé la Terre et à des déboires familiaux. Des promesses d’une nouvelle vie loin des guerres, famines, du réchauffement climatique, il ne reste que désillusions. La planète sur laquelle elle a commencé une nouvelle vie abrite des vestiges d’une forme évoluée de vie disparue. La récupération et le commerce des déchets et des artefacts lui permet de survivre. Son quotidien est bouleversé quand un homme étrange, muet et nu, vient frapper à sa porte, en pleins tempête hivernale. La nouvelle est courte mais m’a happée du début jusqu’à la fin. Il s’agit ici, pour moi, d’une découverte de Paul McAuley. J’ai comme l’impression d’être, jusqu’ici, passée à côté d’un auteur intéressant et qu’il faudra que je trouve d’autres nouvelles de lui. Edit : il s’agit de Paul J. MacAuley, auteur des Conjurés de Florence (lu il y a quelques années)

L’essentiel ensuite avec le dossier Michel Pagel, dossier composé d’un très long entretien avec Richard Comballot et d’une bibliographie exhaustive par Alain Sprauel (pour les curieux ou les monomaniaques). Qui dit long dit riche, très riche même, en informations. Richard Comballot a préparé cet entretien avec soin, s’appuyant sur des entretiens passés. Ses questions sont précises et tendent à l’exhaustivité et il va parfois « chercher » l’auteur (que l’on sent pudique et timide) quand celui-ci se montre peu loquace. Malheureusement le procédé atteint parfois ses limites et on trouve quelques redites qui finissent par agacer.

Et l’accessoire, pour terminer. Par accessoire j’entends les rubriques habituelles qui ne motivent jamais mon achat mais dont la lecture constitue (ou pas) un bonus. J’ai beaucoup apprécié l’interview de la libraire de l’Antre-Monde, par Hervé Le Roux et l’exploration des sorties poches récentes de Pierre-Paul Durastanti. La rubrique « scientifiction » – intelligente et drôle – de Roland Lehoucq & J. Sébastien Steyer répond à cette question essentielle : Comment survivre à un contact alien ? C’est savoureux.

Au final, un numéro de qualité et qui a réponu à mes attentes.

  
JLNN                           SSW – Episode I

Cet article a 12 commentaires

  1. Nick_Holmes

    « s’il ajoute « je te l’avais dit », je lui pète un genou »
    je te l’avais BIEN dit. (pas pareil, mes genous sont saufs)
    Sinon tu as songé à les prendre en numérique… Cela prend moins de place. Tes étagères seront sauves (comme les miennes).

  2. Lhisbei

    @Nick : tes genoux sont saufs mais, dans ton cas, je viserai plus haut lorsqu’on se reverra. En numérique c’est souvent du pdf et les pdf j’en bouffe assez au boulot pour me tuer les yeux.

  3. Anudar

    Di Rollo, y’a pas moyen. Clair, net et précis, y’a pas moyen, j’ai horreur de ce qu’il fait.

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