La dernière fois que j’ai acheté un Bifrost c’était en juillet 2013 (n°71, Michel Pagel). J’en garde un bon souvenir. Pour autant, aucun dossier depuis cette date n’a réussi à me pousser à l’achat (comme quoi, finalement, l’abonnement n’était pas un bon plan pour moi). Ray Bradbury, Lovecraft, Léo Henry, Poul Anderson et papa Tolkien. Que du glamour. Et, surtout, que des mecs. Bon d’accord trouver une « grande dame » de la SF dans les années 40 c’est difficile. Mais trouver des « grandes dames » en SF et Fantasy (parce que papi Tolkien, ce n’est pas de la SF) c’est faisable. Trouver des femmes (tout court) auteurs de SF, c’est facile.Trouver des auteures talentueuses c’est possible (certains éditeurs parviennent même à publier leurs textes, dingue non ?) . Un dossier Ballard ? Et pourquoi pas un dossier Atwood ? Et Robin Hobb, Connie Willis, etc ? Pour ceux qui manquent d’idées, un petit tour vers les billets du challenge Femmes en SFFF de Tigger Lilly (on y trouve des daubes sentimentales mais PAS QUE). La moutarde m’est montée au nez. Elle n’est toujours pas redescendue.
Le numéro 77 est le second consacré à une auteure. Avouez qu’un seul numéro sur un auteur femme en 76 numéros, c’est fort. Par réaction, parce que je suis une indécrottable féministe et que ce qui ressemble bien à une forme de sexisme larvé ça me casse les burnes que je n’ai pas (oui je fais dans le vulgaire si je veux), j’ai décidé que je n’achèterai plus que les Bifrost consacré à des auteures (un Bifrost Neil hiiiiii Gaiman sera la seule exception, vous êtes prévenus). Ce qui fait que cette année j’en serai pour mes frais puisque plusieurs auteures seront mises à l’honneur : Mélanie Fazi et Ursula Le Guin. Comme quoi, ils ne sont pas sexistes chez Bifrost, hein. Oui. Mais si c’est pour attendre un peu plus de 8 ans (le délai entre le Bifrost Joelle Wintrebert et celui-ci) les prochains dossiers sur des auteures, l’alibi ne tiendra pas longtemps. vous trouverez peut-être ma réaction stupide ou excessive (et encore, je ne boycotte pas la publication) mais j’assume. Bifrost a l’ambition (et presque la réputation) d’être la meilleure revue de SF française (francophone même). Que sa rédaction (100% masculine sur ce numéro 77, au fait – sauf à compter Mélanie Fazi elle-même) se montre donc à la hauteur de cette réputation en cessant d’ignorer un pan de la SF.
Rangeons la moutarde dans son pot et concentrons-nous sur ce 77eme Bifrost. Il est comment ? Il est bien. J’ai même failli ajouter : comme d’habitude.
Un bémol pour commencer : la couverture (je sauverai les corbeaux mais guère plus). J’ai pioché dans le cahier critique les avis sur bouquins déjà lus (parce que ça spoile à mort dans Bifrost). Après la chute de Nancy Kress se fait étriller plus que de raison (même si le roman est effectivement décevant sur la forme). Plus grands sont les héros de Thomas Burnett Swann est reconnu à sa juste valeur et ça fait plaisir. Les critiques des derniers ouvrages de Neil Gaiman et Mélanie Fazi sont très bien aussi. J’ai failli me réconcilier avec le cahier critique et puis j’ai regardé le nom de tous les chroniqueurs et la moutarde a à nouveau jailli de son pot… Passons.
J’ai enchaîné avec l’interview d’Olivier Legendre, libraire spécialisé dans une librairie généraliste : très instructive, bien menée (comme d’habitude) et avec les articles, À la chandelle de Maître Doc’Stolze (qui met en lumière des publications qui sont passées très loin de mon radar) et De la vie sur les corps glacés ? par Roland Lehoucq et Jean-Sébastien Steyer (très très bon, comme d’habitude). Direction la nouvelle de Stéphane Beauverger ensuite : « [Replay] » est un très bel exercice de style, parfaitement maîtrisé, mais qui m’a laissé froide. « Essaim fantôme » de Greg Egan nous plonge dans un futur très proche (extrapolons en coeur sur les drones), glaçante, très crédible sauf pour sa fin (je spoile ? allez, oui. Vu le niveau de technologie atteint et la minutie des « méchants », qu’est-ce qui les empêche d’avoir mandaté deux guêpes tueuses pour éliminer l’héroïne et son frère ? Pas de témoins si l’opération réussit et une leçon si elle rate …).
J’ai gardé le meilleur pour la fin (ou presque) : l’interview fleuve de Mélanie Fazi par Richard Comballot (agrémentée d’une bibliographie complète de l’auteure par Alain Sprauel qui ravira les monomaniaques dans mon genre). L’interview s’étale sur 40 pages (un cinquième de la revue) et il n’y a pas un mot en trop, pas une seule question superflue, pas une seule réponse décevante. Les photos qui illustrent cet entretien sont superbes. Le tout constitue un travail magnifique qu’il convient de couvrir de louanges. Elles sont méritées.
« La clé de Manderley », nouvelle que Mélanie Fazi a écrite pour ce numéro de Bifrost, est l’une des plus longues de l’auteure qu’il m’ait été donné de lire. Hugo et William héritent de la demeure de leur oncle Lucien qu’ils connaissaient peu. Enfants, ils avaient séjourné deux semaines chez Lucien. Puis les rapports s’étaient distendus. Lors de ces vacances, dans la salle de projection aménagée dans le grenier, William avait découvert le cinéma avec Lucien et son ami Carl, découverte qui s’est plus tard muée en passion. William, dans cette grande bâtisse maintenant esseulée, repart sur les traces de son passé. « La clé de Manderley » évoque la cinéphilie mais aussi, et surtout, la mémoire et la manière dont on se fabrique des souvenirs et dont on met en scène son propre passé. Le fantastique, toujours léger mais bien présent au travers de la porosité de la frontière entre réalité et fiction cinématographique. Comme toujours chez Mélanie Fazi, le ton est juste, la plume délicate et élégante. Une réussite.
J’ai terminé avec les Paroles de Nornes (j’approuve le coup de gueule à propos du Grand Amant de Dan Simmons) et la rubrique Dans les poches de Pierre-Paul Durastanti. Une bonne note finale.
Pour résumer ce numéro 77 de Bifrost est aussi bon que d’habitude et vous pouvez y aller
- A propos de Mélanie Fazi, sur le RSFBlog : Arlis des forains, Trois pépins du fruit des morts et Notre Dame aux Écailles et Le jardin des silences.
- Et une guirlande de logos :
Défi SFFF au féminin
Challenge Challenge FrancoFou
« Bifrost a l’ambition (et presque la réputation) d’être la meilleure revue de SF française (francophone même). »
Mouhahaha ! Nain porte quoi.
Une hache. Nain toujours porter hache.
Si jamais, j’ai commenté/répondu sur le forum du Bélial’, où ta critique a été linkée.
Je viens d’aller voir ça Pierre-Paul. Je vais répondre ici. C’est à ça que servent les commentaires sur ce blog.
Que veux-tu que je réponde ?
D’une « Et tout ce qui précède n’engage que moi, au fait » me douche un peu. J’en déduis quoi ? Que ça convient à la majorité de la rédaction ? Ben dans ce cas… je resterai lectrice plus qu’occasionnelle. Pas grave, j’irai dépenser plus en librairie (pour lire des auteurs hommes et femmes, sans sectarisme tiens).
De deux, je ne vous sens pas dans le changement. Vu de l’extérieur, vous êtes sur le mode « on voudrait bien que ça change mais c’est pas simple ». C’est un peu court, non ? En tout cas, ça ne (me) suffit pas.
Faire des dossiers sur un auteur c’est toujours un GROS boulot (je suppose). Si vous trouvez de l’énergie pour en faire sur Poul Anderson, Ray Bradbury, et papy Tolkien, pourquoi vous n’en trouvez pas pour Kress et Willis ? D’où ça vient ? « La SF est un truc de mec » c’est ancré à ce point là dans vos inconscients ? (à côté de « la SF est morte » je suppose ?)
Bref. Je remets la moutarde dans son pot et attends avec impatience le jour où vous publierez une nouvelle mineure d’une auteure comme vous avez pu le faire avec Mort d’une ville d’Herbert…
Le « ça n’engage que moi » ne veut dire que ça : je ne suis pas le rédac’chef, donc je parle en mon nom, pas pour la revue dans son ensemble. Ni plus ni moins.
Et pardon, mais tu te méprends, ou plus probablement je me suis mal exprimé : on VA faire Kress et Willis. C’est juste qu’aucune date n’est encore arrêtée — on ne prévoit les dossiers que sur trois ou quatre numéros maximum.
On pourrait parfaitement publier une nouvelle mineure d’une auteure dans le cadre d’un dossier, mineure ne signifiant pas forcément mauvaise. Ceci dit, j’admets volontiers que, dans le cas d’Herbert, je tenais à proposer de l’inédit, parce qu’il me semblait que c’était un — petit — argument de vente. C’est discutable ; ça a d’ailleurs été discuté. J’en ai retiré que rechercher l’inédit pour l’inédit n’était ni nécessaire, ni souhaitable, ni même utile.
Je ne peux que le répéter : non, ce n’est pas simple. Certains blogueurs, semble-t-il, n’aiment pas forcément qu’on leur demande de retravailler leurs papiers, par exemple (retravailler la forme, pas le fond, hein). Je peux le comprendre — un blog est un espace de totale liberté. S’astreindre à écrire pour autre que soi, et accepter la critique extérieure, pose sans doute un problème d’ajustement.
Bifrost est ouvert. Mais on ne peut pas forcer les gens à venir. On a aussi pris dans les dents des accusations de sexisme because discrimation positive. Donc, encore une fois : non, ce n’est pas simple.
Enfin, « la SF est morte » et « la SF est un truc pour mecs » ne font pas partie des mèmes que je propage, non.
Ok. Je comprends mieux ton propos. Reste une chose : la contrition c’est un début mais ce n’est qu’un début.
Je lirai avec plaisir le dossier Kress (j’aime beaucoup ses écrits et son approche)
Un blog est un espace de pure liberté oui. J’en ai fait l’expérience avec le Guide de l’Uchronie (écriture plus spontanée, plus organique sur le blog que pour l’essai, et j’en ai parfois bien bavé). Pourtant je n’ai pas l’impression que c’est une histoire d’ego. Peut-être plus un problème de « mode d’emploi » : qu’est-ce que vous attendez d’une critique pour Bifrost ?
Dans mon cas, je sais que je ne vous proposerai jamais un papier : les critiques analysent et décortiquent trop les livres à mon goût. Les blogueurs (pas tous mais une partie) ont aussi cette ritournelle en tête : pas de « spoiler » pour permettre la découverte et un maximum de plaisir pour le lecteur.
J’ai lu la réponse de Pierre-Paul Durastanti avec intérêt et je suis heureuse d’apprendre que les intentions de choix d’auteurs pour les dossiers à venir ont beaucoup évolué depuis la dernière fois où j’ai eu l’occasion d’en discuter avec l’équipe, il y a quelques mois. Voilà une bonne nouvelle, espérons qu’elle sera rapidement mise à exécution.
Par contre, la remarque sur les blogueurs m’étonne quand même un peu tellement elle ne ressemble pas à ce que j’ai vécu. Pierre-Paul parle de blogueurs qui ne veulent pas changer la forme de leur critique, ce qui pose apparemment problème et pourrait expliquer pourquoi les blogueuses qui avaient tenté l’aventure n’y sont peut-être plus (c’est bien ça? Je ne suis pas bien sûre d’avoir compris correctement cette partie mais c’est ce qu’elle me semblait impliquer vu le contexte général de la réponse, pardon si ce n’est pas le cas). Moi, j’ai connu l’inverse. A part pour mon premier article, pour lequel on m’a renvoyé des corrections déjà effectuées que je devais simplement approuver, je n’ai eu aucun retour sur ce que j’écrivais pour le Bifrost (si l’on ne compte un retour sur une divergence d’opinions sur un livre mais qui n’avait pas pour but de demander un changement dans la critique). J’ai, à la place, retrouvé des articles déjà corrigés dans le numéro dans lequel ils paraissaient et on ne m’a jamais dit ce que je pouvais faire pour les améliorer par moi-même.
Très belle interview et j’ai beaucoup aimé la nouvelle de Mélanie Fazi (là comme ça les deux autres, je ne me souviens plus).
Je suis heureuse d’apprendre que Kress et Willis vont faire l’objet de prochains dossiers. Ce sont des auteures que je connais mal et je serais ravie d’en savoir plus sur elles.
Tant qu’on ne confond pas discrimination positive et condescendance ou pitié, je ne trouve pas que c’est sexiste. Voyons-le plutôt comme un rééquilibrage par rapport à la discrimination négative que les femmes vivent au quotidien (et d’autres, mais ce n’est pas le sujet) alors même qu’on se targue de dire que les hommes et les femmes sont égaux.
Chère Karine,
(Je t’appelle par ton prénom puisque nous nous sommes rencontrés plusieurs fois.)
Je trouve désagréable ta remarque sur ma critique de Nancy Kress, remarque qui laisse supposer que j’ai dit du mal du livre, (étriller : rien que ça !), parce que c’est le livre d’un auteur féminin.
Pour mémoire, j’ai publié en français « Danse Aérienne » de Nancy Kress qui avait eu à l’époque le Grand Prix de l’Imaginaire, prix que je suis allé lui remettre (en mains propres) à la convention mondiale de science-fiction. J’ai aussi choisi des nouvelles d’elle pour d’autres supports, au moins une pour Bifrost : « Les fleurs de la prison d’aulite ».
Nancy Kress est une auteure remarquable qui a écrit des choses remarquables et va continuer d’en écrire ; « Après la chute » n’en fait pas partie. Mon papier traduit une profonde déception vis à vis d’un texte qui a reçu des prix majeurs et ne m’a pas convaincu (le côté sentimental du texte qui m’a semblé « faible » n’est en rien lié au sexe de l’auteur : dans ce texte précis cette dimension précise ne s’intègre pas bien).
Je critique les livres de la même façon qu’il soit écrit par des femmes, des hommes, des homosexuels, des blancs, des noirs, des juifs, des arabes, etc. Après, j’ai mes convictions et mes exigences. Et c’est un autre débat.
Bien à toi,
Thomas Day
Cher Gilles,
Je me suis donc mal exprimée ou tu interprètes mal mon billet si tu penses que je fais un lien entre le ton de ta critique et le fait que l’auteur soit une femme. Il ne me viendrait pas non plus à l’esprit de penser que Gilles Dumay/Thomas Day est sexiste ou discriminant (et encore moins après la Ville Féminicide).
Et je sais très bien que tu as publié Danse aérienne (j’en ai parlé, il y a longtemps, le blog avait 4 mois : http://rsfblog.fr/2008/04/01/danse-aerienne-nancy-kress/).
J’ai lu Après la chute (pas encore rédigé un billet dessus, c’est mal). J’en avais eu des retours négatifs avant. J’ai trouvé qu’il n’était pas si mal que ça. Sur le fond, les trois arcs narratifs sont intéressants même le plus aride des trois (les mutations spontanées des plantes). J’ai aussi apprécié que Nancy Kress n’explique pas tout à son lecteur (c’est un peu sa marque de fabrique). Les trois arcs narratifs sont bien équilibrés. Le fond m’a convaincu. Par contre à la lecture j’ai aussi été parfois éjectée (3 fois seulement) du récit sans bien savoir pourquoi ni comment (je ne dispose pas d’assez d’outils d’analyse littéraire pour identifier ce qui cloche).
J’ai lu ta critique. J’ai aussi lu celles de Gromovar et Lune. Je trouve toutes ces critiques un poil dures avec ce roman. Et cela n’a pas de lien avec le fait que l’auteur soit une femme. Vous êtes exigeants et vous avez été déçus. C’est légitime.
Dans ton cas, c’est dans les colonnes de Bifrost avec des mots comme « consternation », « style infect (à moins que ce ne soit la traduction) » « très pénible à lire ». Et enfin « peut-être plaira-t-il à des lecteurs qui ont peu ou pas de culture SF et ne verront pas au fil des pages d’Après la chute du sous-Wilson ou du sous-McAuley ». Et je passe sur l’intrigue sentimentale, la comparaison avec la série numbers (oh zut, j’avais apprécié la première saison). Le mot « étriller » me paraît convenir parfaitement au ton et au fond de ta critique. Et ce n’est même pas méchant de ma part. Tu étrilles ce roman à la hauteur de ta déception, c’est ton droit. C’est aussi mon droit de trouver que tu es dur (et de le dire). C’est lié à ton niveau d’exigence : tu es éditeur, je suis lectrice.
(au passage mon égo reconnaît que je manque de culture SF et donc ne se sent pas insulté ni vexé par la dernière phrase de ta critique)
J’espère que c’est plus clair comme cela.
Bien à toi
K
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