Bifrost n°104

Ce Bifrost n°104, à la couverture dont les couleurs piquent un chouïa, est consacré à Stanislas Lem pour le centenaire de sa naissance. Les livres de cet écrivain polonais ont été traduits dans plus de 50 langues et se sont vendus à plus de 40 millions d’exemplaires. Solaris , son roman le plus célèbre, a été porté au cinéma par Andreï Tarkovski en 1972 puis par Steven Soderbergh en 2002. Le Parlement polonais a décrété que 2021 serait l’année Lem. Et le 73eme numéro de Galaxies était lui aussi consacré à Stanislas Lem. Chouette anniversaire, non ?

Du dossier

Stanislas Lem est donc au centre du très roboratif et très intéressant dossier de ce Bifrost. On trouve un article biographique d’excellente tenue par Erwann Perchoc, une analyse poussée de Solaris par Feyd Rautha, le classique guide de lecture (qui montre que les bouquins ont un peu mal vieilli et qu’on y sent bien la nécessité pour l’auteur de proposer des futurs radieux pour échapper à la censure d’État) ainsi que la non moins traditionnelle (et très longue) bibliographie. Les articles sur le personnage récurrent d’Ijon Tichy par Pierre Charrel et  Summa technologiae et la cybernétique par Georges Subrenat m’ont laissée de marbre mais raviront probablement les fans de l’auteur. S’ajoute à cela, une longue et passionnante interview de Stanislas Lem datant du début des années 90 extraite de l’essai A Stanislaw Lem Reader de l’universitaire canadien Peter Swirski (« y’a du level », comme on dit). Je précise que j’ai lu la version numérique. Abonnée, je reçois la revue dans les deux formats, papier et numérique. Les numéros papier vont garnir la bibliothèque dédiée (avant dernière étagère avant le plafond à 3,20 mètres) à laquelle on accède aidé d’une chaise ou d’un escabeau – alors autant dire que quand c’est rangé, c’est rangé pour un bout de temps. La lecture de la revue se fait donc toujours en numérique. Habituellement, ça ne change pas grand chose, les bonus numériques concernant principalement le cahier critique que je ne lis pas. Pour ce numéro, en revanche, ça compte puisque l’interview fleuve de Stanislas Lem est « abrégée » dans la version papier mais disponible en son intégralité en numérique. En outre la version numérique propose deux articles d’Erwann Perchoc sur les romans non traduits et sur les adaptations au cinéma des différentes oeuvres de Lem. Un bon gros dossier, solide, propre à contenter les fans comme ceux qui souhaitent découvrir l’auteur.
Dans les rubriques habituelles, Paroles de libraire revient à la librairie montpelliéraine Sauramps avec un entretien avec Benjamin Spohr, libraire qui a succédé à Olivier Legendre qui donne quand même envie de pleurer entre les répercussions du Covid19 et les réorganisations successives qui grignotent l’espace dédié à l’imaginaire. Je n’ai jamais compris comment fonctionnait les cryptomonnaies. L’article de Roland Lehoucq et Stéphanie Chaptal, « Cryptomonnaies, entre fiction et réalité » m’a donné quelque clés (celles de la fiction, au moins) . « Droit insolite et science-fiction, par Raphaël Costa » réussit le pari d’être drôle et instructif.

Qu’en est-il des nouvelles à présent ?

Willie le Zinzin, de Stephen King

Traduit de l’anglais (États-Unis) par Pierre-Paul Durastanti
Prenez une famille dysfonctionnelle (spoiler la communication ce n’est pas leur point fort) et touchée par la crise, avec trois générations sous le même toit : un papy malade qui raconte des histoires bizarres à un petit fils mutique et fasciné par la mort (ledit Willie), un père à peine présent (faut bien bosser pour nourrir tout le monde), une mère qui s’inquiète pour ses mômes et une soeur qui ne s’embarrasse pas d’empathie. Ajoutez une épidémie de Covid-19, une pincée de fantastique glaçant. Secouez-le tout au shaker du maître de l’horreur et vous obtenez un cocktail glaçant, long en bouche avec une note finale un peu prévisible toutefois. A savourer sans modération.

Un soupçon de bleu, de Ken Liu

Traduit de l’anglais par Pierre-Paul Durastanti.
Dans cette histoire alternative, les dragons existent. Leur énergie – sous réserve d’avoir la capacité à l’exploiter – a remplacé le pétrole et le charbon. et ils sont un puissant moteur de développement économique – le coût humain pouvant toutefois s’avérer élevé. L’histoire se concentre sur ce qui arrive à la ville de Mannaport (28 000 habitants) lorsqu’elle est envahie par 7 000 petits dragons : à la peur et au rejet, succède les tentatives d’exploitation, les prises de conscience (sauvez les dragons). L’auteur structure sa nouvelle comme un film documentaire, avec de multiples points de vue. Les plans sur les décors permettent de contextualiser et d’insuffler de la vie. Dans ces chroniques d’une ville et d’un monde bouleversé par de fascinant dragons, Ken Liu explore les conséquences sociétales et sociales de bouleversements majeurs qui font écho à notre monde actuel.

Il y a divers types d’addiction, et l’un des plus insidieux, c’est une dévotion impuissante à la douleur mémorielle, un châtiment qu’on s’impose en s’enchainant à un récif dentelé qui représente un moment spécifique. Son souvenir de Julie ce soir-là – chagrin, trahison, rage, culpabilité — dominait sa vie. C’était une cicatrice qui consumait tout et qu’elle ne pouvait s’empêcher de triturer encore et encore.
Si l’oubli n’est pas le réconfort, parfois la guérison exige l’effacement, tout comme le pardon.

Fantômes électriques, de Rich Larson

Traduit de l’anglais (Canada) par Pierre-Paul Durastanti.
Benny noie son deuil dans la drogue. Il ne parvient pas à surmonter la perte d’Émilie. Nous le suivons dans un club lorsqu’il tente de récupérer une créature inconnue. Quelques temps auparavant, une pluie de météorites a amené sur Terre (ou plutôt en mer) des entités extraterrestres. Benny tente de retrouver et regrouper, sans qu’on sache très bien pourquoi si ce n’est qu’ils ont un deal, une addiction chassant l’autre… C’est sombre, torturé, bourré d’action et d’adrénaline mais il reste un peu trop de questions sans réponse une fois la lecture terminée pour que je sois pleinement convaincue.

Sixième croisade, ou comment Trurl et Clapaucius conçurent un démon de seconde espèce afin de terrasser l’infâme Grandgueulier, de Stanislas Lem

Traduit du polonais par Dominique Sila.
Extrait du recueil La Cybériade, cette nouvelle au titre à rallonge et à l’ancienne, accuse son âge mais fonctionne bien. Stanislas Lem ne manque ni d’humour , ni d’inventivité pour tirer ses savants Trul et Clapaucius d’un mauvais pas, par un petit tour de passe-passe jouissif.

En conclusion, ce Bifrost 104 consacré à Stanislas Lem me semble de très bonne tenue.

Psst : pour explorer l’imaginaire polonais, vous pouvez aussi lire Te souviendras-tu de demain ? de Zygmunt Miłoszewski

Challenge Winter short stories of SFFF – Célindanaë
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