Bifrost n°103

Ce Bifrost n°103 est consacré à Sylvie Denis. Romancière et novelliste, elle est surtout connue pour ses traductions de Norman Spinrad, Gail Carriger, Mary Bennan et bien d’autres encore. Plus méconnu encore, son rôle pourtant majeur dans la mise à disposition de textes d’auteurs étrangers comme  Kim Newman, Ian R. MacLeod, Eric Brown, Brian Stableford, Paul J. McAuley ou Greg Egan, grâce à la revue Cyberdreams fondée avec Francis Valéry dans les années 90. Elle a aussi oeuvré comme anthologiste avec Century XXI chez Encrage ou encore Escales 2001 qui prenait la suite de Escales sur l’horizon et Escales 2000 dans le panorama de la science-fiction francophone.
Tout est bon et intéressant dans ce dossier. L’entretien fleuve par Richard Comballot, SF, réinvention et opposition : un entretien avec Sylvie Denis, retrace la carrière de l’autrice et permet de mesurer ce que nous lui devons, soit beaucoup et, donc , merci ! L’article de Philippe Boulier CyberDreams : Sylvie Denis et l’essor de la SF britannique vient compléter l’entretien. Le guide de lecture et la bibliographie d’Alain Sprauel permet de faire le tour de la question. Un dossier bienvenu et passionnant.

Parmi les rubriques habituelles, on trouve un édito qui revient sur l’affaire Stéphane Marsan (rappel pour celles et ceux qui seraient passés à côté, trois articles à lire chez ActuSF : Mediapart met en cause Stéphane Marsan, Huit autrices de Bragelonne écrivent une lettre ouverte à leur éditeur et Stéphane Marsan quitte ses fonctions aux éditions Bragelonne). Un point me pose quand même un léger problème. Certes la scène du Canardeur est sympa à revoir, mais il convient de rappeler encore une fois (et jusqu’à ce que ça rentre dans le crâne de chaque être humain) : ce n’est pas aux femmes de se balader avec un marteau mais à l’autre moitié de l’humanité de faire en sorte que nous, les femmes, n’ayons pas besoin de nous balader avec ledit marteau. Genre, les mecs, tenez-vous, quoi.
Erwann Perchoc donne la parole à Corinne Marotte, à la tête de l’agence Marotte & cie. L’article se révèle instructif même si j’ai l’impression que l’écosystème éditorial francophone n’a pas une taille suffisamment importante pour qu’un nouvel acteur / maillon de la chaîne puisse s’y insérer et en vivre (surtout payé en commission sur des droits d’auteurs qui ne permettent que rarement aux auteurs d’en vivre). Roland Lehoucq et Fabrice Chemla s’amusent, pour notre plus grand plaisir, à faire de la chimie autour d’une molécule imaginaire, la thiotimoline.

Et les nouvelles dans tout ça ?

Contaminations de Sylvie Denis

Initialement publiée dans  l’anthologie Dimension Technosciences @venir, la nouvelle méritait bien une nouvelle publication. Futur proche. Direction une communauté d’agriculteurs avec Aurore et ses fils sur une période de trente ans. La famille, l’agriculture et le changement climatique sont au coeur de la nouvelle., avec, toujours, un parallèle avec les avancées scientifiques ou techniques qui permettent de s’adapter, au moins à court terme, sans pour autant résoudre le problème de fond. La nouvelle est une réussite tant sur le fond (génie génétique, la bio-ingénierie, dégradation du climat…) que sur la forme (des personnages si bien caractérisés qu’on aimerait qu’ils soient nos voisins). Sylvie Denis offre une vision nuancée et réaliste d’un futur proche, où l’innovation apporte l’espoir de gagner du temps sur la catastrophe à venir à défaut de pouvoir sauver le monde. Le regard est aiguisé, la vision lucide. Si vous avez aimé cette nouvelle, vous pouvez aussi lire Nancy Kress. Les deux autrices jouent sur le même terrain et avec autant de brio.

Nous avons des robots sur Europe, dans les anneaux de Saturne et sur Pluton.
– C’est tout ? reprit-il en riant.
– Ce n’est pas assez. Les Chinois sont sur Io et dans la haute atmosphère de Jupiter. Nous aurions dû lancer des sondes dans le nuage d’Oort et vers Alpha du Centaure depuis longtemps. »
La réaction du jeune homme surprit vraiment Aurore.
« Vous avez raison, dit-il avec une expression soudain rêveuse. On a la tête dans le guidon depuis le début du siècle. Ce n’est pas sain.
– Oui, dit Aurore. Quand j’étais gamine, l’espace, on pensait que c’était pour les jeunes. De nos jours, le système solaire, ça n’intéresse que les vieux. »

57 raisons qui expliquent les suicides de la carrière d’ardoise de Sam J. Miller

Traduit de l’anglais par Laurent Queyssi.
Premier contact avec Sam J. Miller par cette nouvelle sous forme d’une liste en 57 points pour raconter et expliquer le suicide d’un groupe de jeunes dans une carrière. La nouvelle débute de manière presque inoffensive pour monter crescendo dans le glaçant sous fond de harcèlement scolaire et de violences banalisées.= entre ados. On se laisse prendre au jeu sans même s’en rendre compte et ça c’est fort.

Chacal d’Olivier Caruso

Markus et Daniel meurent dans l’incendie d’une boite de nuit, le jour où Daniel devait être livré de l’intricateur censé l’envoyer au paradis. Raté, il se retrouve donc en enfer ou, plus exactement, dans une mine de diamants, où leur corps astral trime sans s’arrêter à miner du diamant. Masque de chacal sur la tête (référence au dieu Anubis), Filippo vend, pour Hadès Solution s, ces intricateurs aux riches tout en pleurant parce que son salaire ne lui permettra jamais d’en offrir à sa famille alors même que sa fille est de santé fragile. Il décide donc de vendre un intricateur à une société concurrente Death Solutions For You (et qu’est-ce qui pourrait mal tourner avec ce plan, franchement ?) pendant que Markus déclenche une grève générale à la mine pour rentrer sur terre après avoir piqué un gros diamant (qu’est-ce qui pourrait mal tourner avec ce plan, franchement (bis) ?). Ensuite les effluves, non, les fils narratifs se croisent et – spoiler – ça foire pour tout le monde. La nouvelle se laisse lire mais les changements de points de vue sont un peu brutaux. Et la fin reste trop ouverte ou trop sujette à interprétation pour moi.

Test d’écho de Peter Watts

Traduit de l’anglais (Canada)  par Gilles Goullet (dit “le formidable”)
Lange et Sansa ont pour mission de découvrir des traces de vie dans les profondeurs d’Encelade, un satellite de Saturne. Méduse, leur sonde, commence à donner des signes de fatigues. L’un de ses bras articulé semble endommagé. Il semble aussi tenter de s’adapter ce qui peut être interprété comme un signe d’éveil à la conscience. Peter Watts parvient à me faire aimer la Hard-SF et c’est pour cela que je l’aime.

– Je vais te réinitialiser. Effacer ton ardoise. Rien de plus. »
Tout à coup, elle avait repris un visage. « Je vais mourir.
– Tu vas t’endormir. Et te réveiller. Et prendre un nouveau départ ailleurs.
– Je ne vais pas m’endormir. Lange. Je vais finir. Je vais m’arrêter. Ce qui se réveillera aura les mêmes mots, le même comportement, la même personnalité par défaut paramétrée en usine, mais ne se souviendra pas être moi et donc ne sera pas moi. C’est un assassinat, Lange. »

Le Palais du désert de Thomas Day

“La Bête du loch Doine” dans le Bifrost n°100 m’avait laissée sur ma faim. “Le Palais du désert” me laisse tout à fait affamée. J’ai eu l’impression que la nouvelle s’arrêtait pile au moment où elle devrait démarrer. Un père mourant emmène son fils voir le Palais du désert, une construction extraterrestre, oeuvre d’une civilisation mystérieuse déjà repartie. Le road-trip en moto de plusieurs jours donne l’occasion au père de conter l’histoire du Voyageur, ce vaisseau qui après avoir siphonné toute l’eau d’Europe, le satellite de Jupiter, est venu construire un palais de verre dans le désert. C’est un conte avec de multiples références aux Milles et une nuits. C’est aussi l’adieu d’un père à son fils, marqué par un voyage initiatique qui sort de l’ordinaire. Très émouvant mais avec un trop fort sentiment d’inachevé.

Parfois les petits sacrifices sont ceux qui comptent le plus.

En conclusion, ce Bifrost 103 apporte son lot de nouvelles de qualité en plus d’un riche dossier consacré à Sylvie Denis, une autrice, traductrice, anthologiste et érudite qui mérite une plus grande mise en lumière au regard de son apport à la SF.

Challenge Winter short stories of SFFF – Célindanaë
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