De Christopher Priest
Denoël Lunes d’encre – 416 pages
Pour les 13 ans de la collection Lunes d’encre (anniversaire qui tombe en octobre 2012), l’éditeur organise un challenge avec 13 blogueurs (dont je suis) : 13 ans, 13 blogs. Il s’agit publier un billet sur son Lunes d’encre préféré (disponible, c’est la seule contrainte). Quel est mon Lunes d’encre préféré ? Facile. Il s’agit du Prestige de Christopher Priest, roman que j’ai lu dans son édition Folio sf et que je n’ai jamais chroniqué ici parce que je manquais de vocabulaire (et j’en manque toujours donc cette chronique sera d’un vide abyssal, vous êtes prévenus) pour retranscrire tout le bien que je pensais de ce roman.
Un point tout d’abord sur la couverture. Je l’ai lu en Folio sf et, si j’étais parfaitement honnête, j’illustrerais mon billet avec la couverture de cette édition, couverture que je trouve moins moche (et non pas plus jolie) que celle de ce Lunes d’encre (Alain Brion peut faire mieux que ça). Seulement… la couverture du Folio sf reprend l’affiche du film. Et le film, réalisé par Christopher Nolan (j’ai déjà dit tout le bien que j’en pensais en 2010) m’est resté en travers de la gorge (c’est le moins que l’on puisse dire) (alors que Hugh Jackman me donne des frissons dans n’importe quel film – même Opération espadon c’est dire).
Avant d’en venir au livre, il faut que je vous parle de Christopher Priest. Je vais essayer de le faire sans mettre une majuscule à chaque mot mais ça va être difficile parce que Christopher Priest est Un Grand Ecrivain et ce, même si je ne me base que sur la lecture de deux romans (mais quel culot !) pour l’affirmer. L’un des grands parmi les grands et des plus grands parmi les plus grands (dans mon panthéon personnel s’entend). Lorsqu’il est venu à Lille en 2008 c’est tremblante, rougissante et bafouillante que je lui faisais dédicacer un exemplaire du Glamour (oui je sais il est toujours dans ma PAL et c’est une honte). L’exemplaire du roman qui m’avait le plus marqué, Le monde inverti, ne m’appartenait pas et je ne pouvais donc pas le faire dédicacer. Christopher Priest s’était révélé charmant, disert et captivant. Il s’est montré attentif aux lecteurs présents et curieux. Il avait l’air content et heureux d’être là alors que l’exercice des dédicaces peut s’avérer parfois pénible. Un vrai gentleman diraient certains. Alors quand un grand écrivain se double d’un homme chaleureux … il ne m’en faut pas plus pour me faire complètement craquer. Et une collection qui édite les romans de cet auteur mérite tout mon respect (même si la couv’…).
Toutes ces digressions sont bien sympas mais il faudrait quand même parler du livre. Commençons donc par le début parce que Christopher Priest a l’art et la manière de commencer ses romans. Juste pour se faire plaisir, par pure gourmandise, voici le début de son Monde inverti : « J’avais atteint l’âge de mille kilomètres. De l’autre côté de la porte, les membres de la guilde s’assemblaient pour la cérémonie qui ferait de moi un apprenti. Moment d’impatience et d’appréhension, concentration sur quelques minutes de toute ma vie jusqu’alors. » Si vous voulez en savoir plus lisez-le : vertige assuré.
Revenons au début du Prestige cette fois : « Tout a commencé dans un train qui filait vers le nord de l’Angleterre, mais j’ai vite découvert qu’en fait l’histoire remontait à plus de cent ans. » « Je » ici s’appelle Andrew Westley. Il y aura d’autres « je » dans le roman puisque les quatre voix qui en assurent la narration le font toutes à la première personne. Andrew Westley est journaliste, lancé dans une enquête sur une secte. Il sait qu’il est adopté et reste persuadé qu’il avait un frère jumeau. Ce qu’il ne sait pas, en revanche, c’est qu’il est l’arrière-petit fils d’Alfred Borden, prestidigitateur en constante rivalité avec Rupert Angier. Les deux illusionnistes réalisent le même tour de « l’homme transporté », tour où le magicien disparaît de la scène pour réapparaître plus loin, tour qui cristallise leur haine, chacun cherchant à percer le secret de l’autre sans jamais y parvenir. Andrew Westley rencontre Kate Angier, l’arrière-petite-fille de Rupert Angier qui en sait bien plus sur son jumeau que lui. Deux fils narratifs se croisent jusqu’au dénouement final : l’intrigue contemporaine avec Andrew et Kate et la quête du secret de l’autre magicien au 19ème siècle. Les deux sont inextricablement liées. La narration de la rivalité entre Angier et Borden se fait au travers de leurs journaux intimes ou de leurs confessions, toujours à la première personne du singulier, ce qui leur donne une densité psychologique exceptionnelle. Pour le lecteur, ce procédé facilite l’immersion dans l’histoire et renforce la proximité avec les magiciens, permet à ces derniers de nous illusionner facilement et avec notre accord tacite en sus. Angier et Borden reviennent parfois sur les mêmes évènements mais avec un point de vue ou une interprétation radicalement différents. Difficile alors pour le lecteur de prendre parti pour l’un des deux prestidigitateurs, de juger le premier ou de condamner le second même s’ils se permettent toutes les vilenies possibles pour détruire la carrière de l’autre. Le 19eme siècle proposé par Christopher Priest est évoqué de manière très réaliste par la vie mondaine avec ses théâtres et représentations de magie, le courant spirite, les différences de classes sociales (Borden est fils d’artisan, Angier, fils cadet d’un comte), le progrès technique de la révolution industrielle, la fée électricité et son ambassadeur Tesla qui peuvent exaucer bien des voeux. La construction, qui balade le lecteur sans jamais le trahir, se révèle magistrale mais aussi chargée en émotion. Une grande illusion et un excellent roman.
Un extrait pour terminer
« Une illusion se divise en trois étapes.
Tout d’abord, les préparatifs, qui permettent d’esquisser, de laisser deviner ou d’expliquer la nature de la tentative à venir. Les accessoires sont visibles. Des volontaires appartenant au public participent parfois à ce prélude, aux cous duquel le magicien dispense autant de renseignements trompeurs qu’il lui est possible.
L’exécution qui, pour susciter le spectacle de la magie, associe une vie passée à s’entraîner au don inné de comédien du prestidigitateur.
Enfin, la dernière étape, aussi appelée effet ou prestige, qui est le produit de la magie. Si l’illusionniste tire un lapin de son chapeau, l’animal, apparemment dépourvu de toute existence avant l’exécution du tour, peut être qualifié de prestige de ce tour. »
Dans le film de Nolan on retrouve ces trois étapes sous les titres la promesse, le tour et le prestige.
- World Fantasy Award catégorie meilleur roman
- Lire les avis de NooSFere, le Cafard Cosmique, Tigger Lilly, Nébal, Cracklou, Ptitetrolle, Chacun son livre, Melöe, Lulkili.
- D’autres Lunes d’encre sur ce blog : Spin de Robert Charles Wilson, Destination Ténèbres de Frank M. Robinson, Dilvish le damné de Roger Zelazny, CLEER – Une fantaisie corporate de L. L Kloetzer, Ptah Hotep de Charles Duits, Maître de l’espace et du temps de Rudy Rucker, Darwinia de Robert Charles Wilson, L’équilibre des paradoxes de Michel Pagel, Les tours de Samarante et Treis, altitude zéro de Robert Merjagnan
- Joyeux Anniversaire Lunes d’encre !
Je te rejoins entièrement : un sacré bouquin (et « Le monde inverti » aussi) !
(mais pourquoi est-ce que je n’habitais pas déjà à Lille en 2008 ?!)
@ Brize : comment ne pas être sous le charme de ces romans là ? les deux m’int soufflée
Tu ne nous dit pas pourquoi le film t’es resté en travers de la gorge. Pour ma part j’ai adoré la séparation…
Et moi j’ai été déçue par le livre parce que j’avais vu (et adoré) le film avant *pas taper*. J’ai un peu de mal avec Priest, je crois en avoir lu 2 ou 3 sans jamais vraiment accrocher… enfin je finirais bien par trouver le bon un jour, je ne désespère pas (je viens de trouver le bon Silverberg après un nombre d’essais assez impressionnants xD)
« La séparation » est excellentissime. C’est le seul Priest que j’ai lu jusqu’ici mais ce ne sera clairement pas le dernier.
Quant au « Prestige », j’attends de lire le roman avant de visionner le film (c’est toujours ce que j’essaie de faire de manière générale), mais j’en attend beaucoup, aussi bien pour l’un que pour l’autre car j’aime beaucoup les films de Nolan (Memento, Inception et les Batman, pas vu Insomnia, ni le Prestige).
Excellent choix ! J’aurais pu décider de le relire pour le chroniquer dans le cadre de 13 ans 13 blogs mais mon choix s’est arrêté sur un autre livre :p
(13 ans 13 blogs 13 octobre -> fait exprès ?)
Il est dans ma PAL depuis plusieurs années, mais tu me donnes le goût d’en ressortir !!
J’ai lu deux de ses livres, l’un m’a plus l’autre bof. Mais après relecture d’une nouvelle qui m’a littéralement scotché, je me suis dit que je relirais bien « Le monde inverti ». Probablement « Le prestige » un jour et bien d’autre si je deviens fan comme toi!